Alain Paiement, Refaire surface – Mona Hakim

[Automne 2001]

Galerie Clark
Du 10 mai au 17 juin 2001

Depuis 1994, année de son passage au Musée d’art contemporain de Montréal, Alain Paiement a peu été visible au Québec. Il y a bien eu quelques apparitions remarquées, notamment dans le cadre du Mois de la Photo à Montréal, Panique au Faubourg et Québec, Québec (à VU), mais ses longs séjours en Europe, particulièrement en Belgique, ont eu raison de sa disponibilité chez nous. L’exposition solo présentée chez Clark était donc attendue.

Au cœur du renouvellement de la photographie québécoise dans les années 80, la production d’Alain Paiement s’est engagée dans les complexités du dispositif optique et des manipulations de l’image (entre autres par le numérique), prenant pour pivot les modalités perceptuelles du sujet observateur. Les nombreux plans-facettes dont sont constituées ses œuvres bidimensionnelles et plus souvent sculpturales contribuent à débusquer les leurres de toute transposition du réel et à réévaluer notre position face à nos champs d’observation. Son travail récent poursuit avec cohérence ces mêmes préoccupations.

Moins spectaculaires dans leur déploiement spatial – par rapport aux habitudes installatives de l’artiste – les huit photographies disposées exclusivement au mur vont droit au but : un formidable écho aux allégeances picturales initiales de l’artiste. En prime, une sensibilité nouvelle dans le contenu des œuvres.

Refaire surface ramène sur le plan frontal des vues en plongée d’objets familiers et de lieux fréquentés. Un dessous de voiture, un trottoir, différentes pièces d’un appartement (l’impressionnant F3 Living Chaos) et des intérieurs de douches basculent à la verticale créant un monde instable, ambigu et illusoire. Paiement tire ainsi profit du système de représentation spatiale en s’ingéniant à rabattre les perspectives, à aplanir les volumes et à morceler les surfaces comme sous l’effet d’une grille.

D’autres considérations formelles visant à appuyer une topologie de l’espace sont mises en valeur. Dans Sans titre (douche), un jeu linéaire de cadres dans le cadre (prenant appui sur le châssis d’une douche) rivalise avec le format en losange de la photographie. Dans F3 Living Chaos, horizontales et perpendiculaires divisent à gros traits les pièces encombrées d’un appartement, alors que les rues longeant l’édifice dont il fait partie délimitent de façon saugrenue les bordures latérales de l’œuvre. Sont également fort bien exploités les effets de texture, que ce soit dans le grain fin d’un château de sable vu de haut d’où apparaît une image plutôt abstraite (Ocean Park), ou dans l’état de rouille, ici exacerbé, d’un dessous de voiture présenté presque grandeur nature (R21). Cette œuvre imposante et surprenante (un peu à l’étroit dans la première salle de la galerie) évoque inévitablement l’idée du vestige, de la perte, d’une absence.

Regard posé sur la photographie, mais aussi clin d’œil délibéré à la peinture donc, qui trouvent leur pleine mesure dans Merci, Merci. Une Vierge à l’enfant peinte sur le trottoir, la main et les outils du peintre, un passant et un bol pour recevoir l’obole composent un astucieux montage en trompe-l’œil (le plan vertical est une illusion), d’une belle poésie.

Dans la lignée de ses investigations sur la ville et les édifices abandonnés, Paiement scrute cette fois son univers quotidien et personnel dans lequel gravitent des personnages (amis, enfant, et peut-être l’artiste lui-même), habituellement absents de son œuvre photographique. Comme s’il avait transféré vers l’intérieur de la scène la position centrale et privilégiée qu’occupe le témoin extérieur. Or, au-delà de toute stratégie conceptuelle et habileté technique, l’exposition, par la présence humaine et les renvois avisés au pictural, fait naître une dimension émotive et intime qui ravit.

Visiblement Paiement n’est pas au bout de ses ressources. Sa façon inventive de manier les espaces artificiels et de dénoncer cette impossible équivalence entre le réel et sa représentation oriente sa production récente parmi les plus intéressants dialogues entre la peinture et la photographie. Une exposition touchante.