[Été 2003]
Centre VU, Québec
du 2 mai au 1er juin 2003
Doyon-Rivest : une histoire de code(s). Présentée au centre VU à Québec dans le cadre de la 2e Manifestation internationale d’art de Québec, l’exposition Vos experts en gestion des utopies 2 du jeune duo de Québec Mathieu Doyon – Simon Rivest rejoint à bien des niveaux la thématique de cet événement d’envergure, « Bonheurs et simulacres ». De leur première exposition solo Vos spécialistes en création de besoin (L’Œil de Poisson, Québec, 2001) à Vos experts en gestion des utopies 1 (Articule, Montréal, 2002) et 2 (2003), le travail de Doyon-Rivest s’inspire généreusement du monde de la publicité et de ses codes esthétiques, et en questionne les principes en mettant en cause la validité des messages véhiculés par la publicité par l’apparente banalité de l’univers iconique que développe le duo.
Vos experts en gestion des utopies 2 est une installation structurée par quatre éléments : (1) une immense photographie de grands espaces sylvestres, imprimée sur une mousseline et suspendue en arc, de façon à circonscrire l’espace de la galerie ; (2) plus de 200 trophées dorés disposés sur des étagères, divisant l’espace circonscrit ; (3) six photographies en couleurs d’environ 1 m par 1 m, série intitulée Jusqu’où étiez-vous ? accrochées trois par trois sur deux murs formant un angle ; (4) la photographie d’une jeune beauté féminine, montée en boîte lumineuse et posée en exergue aux trois autres éléments.
La série de photographies Jusqu’où étiez-vous ? demeure le pivot de Vos experts en gestion des utopies 2. Ces six portraits – une jeune femme, un couple, des danseuses en répétition, deux enfants assis, un repas de fête, une dame âgée – ont en commun des sujets au regard vague et à l’expression plutôt mélancolique. Pas de manifestation extatique, pas de symbole de réussite ni de joie débordante. Rien, en fait : si on peut croire à un quelconque événement, c’est par la présence des trophées qui contextualisent les photos, en suggérant que ces personnages pourraient avoir eu leur « quinze minutes de célébrité », pour reprendre la formule d’Andy Warhol. Ces images d’une extrême banalité évoquent la possibilité d’un événement.
Chez Doyon-Rivest, tout public est un consommateur d’images et doit être traité comme n’importe quel public cible. Le duo construit ses stratégies visuelles en fonction d’un public captif, celui de l’art actuel, qui fréquente les lieux dévolus à la diffusion artistique. S’autoproclamant la firme Doyon-Rivest, le duo revendique l’appropriation du marché par l’art et l’utilisation des techniques publicitaires au service de l’art, et pose sans équivoque que la firme « conserve les caractéristiques propres aux langages publicitaires, tout en évacuant l’aspect promotionnel1 ». C’est donc sans ambiguïté que ses œuvres sont ainsi marquées de son logo, une signature visuelle dans l’esprit postmoderniste du branding à tout crin : les trophées sont ainsi « décernés » au nom de la firme, son logo étant gravé sur chaque trophée, à la place habituellement réservée à l’inscription du nom du « gagnant » ; l’immense panneau en arc n’existe que pour signifier la signature des artistes, l’image de marque étant surimprimée sur le paysage grandiose, en utilisant les effets du sublime.
La reconnaissance de cette esthétique relevant de la publicité participe au détournement qui s’opère à la lecture de Vos experts en gestion des utopies 2. La compréhension des codes propres au monde publicitaire demeure la clé pour accéder au travail de Doyon-Rivest, car le duo se fait un malin plaisir de jongler avec ces codes tout en respectant à la lettre les moyens employés pour cette codification : le visuel léché et propret, l’image de marque, le slogan percutant. Comme le message ne s’accorde pas avec le code, un déphasage s’instaure : là est l’intérêt du travail de Doyon-Rivest.
Tout en travaillant principalement en photographie, le duo élabore ses œuvres dans des contextes installatifs. Pourtant, le dispositif installatif n’est jamais le plus marquant; l’occupation de l’espace dans Vos experts en gestion des utopies 2 reste sommaire, provoquant davantage un encombrement spatial que témoignant d’une véritable compréhension des enjeux de la pratique installative. Dans d’autres contextes de présentation, les œuvres de Doyon-Rivest sont d’une provocante efficacité, comme dans l’imprimé : je pense aux opuscules publiés par VU (2003) et par Articule (2002), à cette édition de cartes postales d’images d’un banal québécois exquis, réalisées pour une exposition en Finlande en 2002, ou encore à la photographie parue en couverture de la revue Espace au printemps 2003. Sans changer de cible – le public de l’art actuel –, ces utilisations réussies d’un mode opératoire de la publicité, l’imprimé, servent avec bonheur le propos de Doyon-Rivest : l’appropriation ironique de l’omniprésence iconique dans notre monde actuel.