[Automne 2004]
Lise Lamarche, « La photographie par la bande. Notes de recherche à partir des expositions collectives de photographie à Montréal (et un peu ailleurs) entre 1970 et 1980 », dans Exposer l’art contemporain du Québec. Discours d’intention et d’accompagnement, sous la direction de Francine Couture, Montréal, Centre de diffusion 3D, 2003, p. 221-265.
Après avoir dirigé entre autres ouvrages collectifs Les arts visuels au Québec dans les années soixante, Francine Couture récidive dans sa volonté d’investiguer l’histoire de l’art québécois contemporain avec Exposer l’art contemporain du Québec. Discours d’intention et d’accompagnement. Accompagnée de quatre auteures, Couture cherche à savoir comment les expositions collectives des années 1970 à 1990 ont exercé un rôle de médiation dans la définition de l’art du Québec. Deux thématiques participent ici de ce postulat : l’exposition comme stratégie identitaire, qu’abordent Véronique Rodriguez, Francine Couture et Rose-Marie Arbour, et l’exposition comme mise en vue d’une discipline ou d’un genre artistique qu’examinent Nycole Paquin (sculpture), Lise Lamarche (photographie) et Véronique Rodriguez (installation). Avec le discours d’accompagnement des expositions comme objet d’étude, les cinq auteures y vont d’une approche historique, sociologique et sémiotique selon leur champ de spécialisation. Retour donc sur Québec 75, Montréal plus ou moins ? (1972), Corridart (1976), Art femme 75, Femmes-forces (1987) et Aurora borealis (1985), entre autres expositions-phares qui ont entraîné tour à tour des polémiques, l’idée d’une montréalisation de l’art, la définition de l’espace public, une mise en valeur du mouvement féministe de même qu’une conception d’une spécificité canadienne de l’art d’installation.
Pour notre part, nous porterons une attention particulière au chapitre consacré à la photographie sous la plume de Lise Lamarche. Empruntant une approche sociohistorique – et le ton humoristique qu’on lui connaît – l’auteure prend ancrage sur l’exposition collective tout en divisant son champ d’étude en deux blocs : les lieux de diffusion (au Québec et au Canada) et l’imprimé. Ainsi s’entrecroisent une large nomenclature de lieux d’exposition et de publication, de dates et de personnages clés qui ont gravité autour des photographes. Que l’on pense aux conservateurs, marchands d’art, directeurs de revues, éditeurs et dirigeants d’organismes culturels, tous ayant joué un rôle déterminant dans la mise en place d’un circuit spécifique de la photographie dans les années 70. Sans oublier l’un des traits distinctifs de la photographie de cette décennie et presque omniprésent dans son récit, soit la présence de groupes (GAP, GPP, Prisme, Plessisgraphe, Photocell) donnant naissance à des projets collectifs tels que Disraeli, Photo-Montréal, Transcanadienne sortie 109.
On le constate, l’objet d’étude est dense et les noms pullulent, ce qui n’allège en rien la lecture du texte. L’angle de vue qu’a choisi Lamarche a toutefois ceci d’intéressant qu’il fait ressortir un enjeu majeur de cette période – dont on réalise que l’impact n’est pas nouveau – concernant la dichotomie entre une photographie que l’on dit aujourd’hui « plasticienne » et une photographie « créative », plus précisément « celle d’artistes qui utilisent la photographie et celle des “ purs ” qui, eux, inscrivent leur pratique dans une histoire de la photographie », pour employer les termes de l’auteure. Dès le départ, Lamarche prend le parti de ne pas s’en tenir à une photo plasticienne mais « de saluer ceux qui ont un regard oblique », faisant ici référence à d’autres formes de pratique, comme celles liées au monde de l’information : photos de presse ou autres. Si elle ne fait qu’effleurer la photographie de presse, elle soutient que ce domaine, comme tous ceux qui utilisent « la page » comme espace de diffusion (plutôt que les murs des galeries), mériterait une analyse plus poussée. Ces matières à débats de l’époque tissent donc la trame du récit développé ici, même si, dans certains cas, elles ne se lisent qu’en filigrane.
Sont bien sûr abordés les incontournables de cette décennie : l’ONF, par l’entremise de la Galerie de l’image, qui a joué un rôle déterminant dans la diffusion de la photographie, particulièrement pour le photodocumentaire, le magazine OVO, « à la croisée des pratiques antagonistes » et très présent dans différents secteurs de diffusion, la galerie Optica (auparavant le Centaur), étant à l’époque un important lieu de la photographie, sans oublier le projet Disraeli du GAP (Groupe d’action photographique). Ces deux derniers éléments font d’ailleurs l’objet d’une attention plus soutenue dans l’analyse de Lamarche. Dans le cas d’Optica, l’occasion est belle de constater le glissement qu’a opéré cette galerie d’abord favorable à des expositions jumelant photo documentaire et tendances variées, pour se concentrer davantage sur des photographies dites alors artistiques ou conceptuelles. La diffusion d’œuvres de photographes américains y est également encouragée, histoire de donner un caractère international aux activités de la galerie, à commencer par l’importante exposition Camerart.
Quant au projet Disraeli (portrait des habitants de la petite ville du même nom), le tirage en 1 000 exemplaires de l’album comparé aux 550 000 exemplaires d’extraits du projet parus dans le supplément « Perspectives » (inséré dans les journaux du samedi) soulève la question de la supériorité du journal, comme lieu d’exposition et de visibilité, sur la publication spécialisée qui, elle, est à peine lue. Disraeli démontre également la volonté des artistes de tendre les images à leurs modèles, de rendre celles-ci plus accessibles et, par extension, de sortir la photographie des institutions pour la rapprocher de la population. L’étalement des lieux d’exposition demeure donc une préoccupation importante de cette période. Caisses populaires, bibliothèques, restaurants, librairies et autres lieux périphériques ont ainsi accueilli de nombreuses expositions, ce qui n’est pas pour autant symptomatique de la difficulté des artistes à infiltrer les galeries ou les musées.
Les problématiques qu’ont soulevées Optica et Disraeli ont largement été commentées par les critiques de l’époque. L’imprimé, quel qu’il soit (revues spécialisées, bulletins, quotidiens ou magazines), est à cet égard une tribune essentielle au brassage d’idées qui caractérise les années 70. De fréquentes interventions écrites du GAP ou de l’ADAP (qui publia un manifeste dans Le Jour) témoignent de l’ « activisme » de ces artistes et de l’importance de leur engagement en ce qui a trait au public de l’art, à la réception des œuvres et au rôle du photographe et de la photographie dans un milieu encore hostile à cette discipline artistique. Lise Lamarche ne manque pas de souligner que la prise de parole de ces praticiens de l’art photographique se distingue de celle des peintres et des sculpteurs qui, eux, depuis Refus global et Prisme d’Yeux, ne s’y adonnent pas si volontiers.
On pourrait reprocher à Lise Lamarche la lourdeur d’un texte taxinomique ainsi que de s’être limitée aux années 70 (bien qu’elles soient suffisamment chargées, on en convient), alors que les années 80 ont permis un éclatement de la photographie québécoise, tant sur le plan d’une esthétique identitaire (la photo-installation entre autres) que sur celui d’une reconnaissance à l’étranger. De même, convenons que le choix d’exclure de l’étude les expositions solos a eu pour résultat de ne donner qu’un point de vue partiel sur le sujet. Mais il faut reconnaître l’effort qui est fait ici d’inventorier un champ disciplinaire que les trente dernières années ont inscrit dans un cadre déterminant de notre histoire. En ce sens, l’analyse de Lamarche a le mérite d’avoir amorcé une recension essentielle et d’être un véritable stimulant pour réfléchir sur la situation de la photographie du Québec récent.