[Automne 2006]
Optica, Montréal
du 28 avril au 3 juin 2006
Le texte rédigé par le collectif BGL et mis en ligne sur le site du centre d’artistes Optica quelques jours avant le début de l’exposition Effet de mode et autres pirateries du genre pouvait surprendre. En effet, on y lisait : « Ce récent travail inspiré des tendances en art actuel propose quatre grandes photos grand format laminées sous plexiglas. J’espère, par cette coupure radicale avec l’installation, plaire enfin aux collectionneurs, galeristes et autres amateurs d’art ». La proposition étonnait puisque les artistes avaient exposé depuis 1996, année de la formation du collectif pendant leurs études en arts visuels à l’Université Laval, surtout des installations. Mais croire que le trio BGL formé de Jasmin Bilodeau, Sébastien Giguère et Nicolas Laverdière allait totalement abandonner l’installation relevait du leurre. L’incursion de BGL dans le champ de la photographie se voulait-elle plutôt un clin d’oeil ?
Clin d’oeil puisque Effet de mode et autres pirateries du genre était en réalité une installation. Malgré le fait que les artistes avaient annoncé par voie de communiqué qu’ils allaient se soumettre à la mode, ce qu’ils ont présenté à Optica a eu comme effet de dénoncer de manière ironique ladite mode. À l’instar de ce qu’ils avaient fait pour d’autres installations telles À l’abri des arbres (2001), Le regard de l’autre (2002) ou encore Need to believe (2005), les artistes ont refaçonné ici l’espace d’exposition. En divisant en deux la grande salle d’Optica et en y construisant un nouveau plafond, ils ont créé une petite galerie dans la grande galerie. Afin de garder les visiteurs à distance des quatre impressions numériques grand format accrochées dans la première pièce, BGL a même disposé des cordons de sécurité, ce qui contribue à sacraliser les photographies exposées. Cette première salle n’était pas sans rappeler le « cube blanc » tel que décrit par Brian O’Doherty1, soit un espace qui n’interfère aucunement avec les œuvres qui y sont présentées.
Effet de mode et autres pirateries du genre était tout à fait dans le ton des autres expositions de l’heure, jusqu’au moment où l’une des photographies ne tombe par terre. C’est justement cette chute qui incite le visiteur à continuer sa visite et fait en sorte que son passage dans la deuxième salle lui permet de voir l’envers du décor : il y découvre comment les artistes en sont arrivés à faire tomber de façon récurrente la photographie Le domaine de l’angle et comment d’elle-même celle-ci revient quelques instants plus tard à sa position initiale. Logé sous une immense tente en caoutchouc noir, le dispositif quelque peu saisissant par son ampleur est dévoilé au visiteur. En retournant dans la première salle et en étudiant attentivement le mur, il est loisible de constater que celui-ci porte des traces d’usure et que le plexiglas recouvrant la photographie commence à être égratigné dans la partie inférieure, bien qu’un matelas placé au sol amortisse sa chute.
Installation, soit, mais qu’en était-il des photographies ? Regroupées selon deux ensembles, elles présentaient des décors construits par les artistes. La première série intitulée L’intrus montrait une pièce d’un manoir où gisait au sol, dans une flaque noire, le casque de Darth Vader, personnage central de la série Star Wars. Le point de vue adopté pour la prise de ces deux photographies était exactement le même, mais ce qui différenciait L’intrus II de L’intrus était la présence d’un des artistes du collectif, Sébastien Giguère, vêtu d’un costume d’époque. La flaque noire, faite de résine synthétique et non d’eau, créait un effet miroir venant souligner la réflexion présente dans la photographie, mais aussi entre les deux photographies accrochées l’une en face de l’autre.
L’effet de miroir était également exploité dans la seconde séquence de photographies intitulée Le domaine de l’angle qui présentait un paysage reconfiguré. En pleine forêt, les artistes ont construit un plafond à l’aide de tuiles acoustiques. Le plafond photographié était le même que celui reconstruit par BGL dans la galerie. Ainsi, la notion du « cube blanc » se trouvait déjouée puisqu’il y avait un dialogue entrepris entre les œuvres et l’endroit où elles étaient mises en vue. La première photographie de cette séquence, qui a d’ailleurs servi à illustrer la pochette du plus récent disque de Pierre Lapointe, présentait un point de vue plus rapproché tandis que la seconde, prise de plus loin, dévoilait comment les artistes avaient construit ce décor. De plus, la présence de trois spots dans cette seconde image intitulée Le domaine de l’angle (Les parapluies de Cherbourg) confirmait que cette mise en scène avait été conçue pour une séance de photographies. Et, manifestement, séances il y a eu, étant donné que les photos exposées n’ont pas été prises par les artistes, mais par Isaac Applebaum pour la série L’intrus et par Mathieu Doyon pour la série Le domaine de l’angle. Cette collaboration avec deux photographes contribuait à remettre en question la notion même d’auteur.
Depuis quelques mois, BGL semble davantage préoccupé par le marché de l’art puisque déjà à l’hiver 2006, il présentait à la galerie Art Mûr Se la jouer commercial (esthétique de présentation), une exposition qui se voulait une mini rétrospective. Il s’agissait du premier solo de BGL dans une galerie commerciale. Cette mise en vue rassemblait en un même lieu plusieurs réalisations du collectif ironisant sur les habitudes et valeurs de notre société. À la galerie Optica, le monde de l’art contemporain et son marché devient la cible de l’ironie des artistes. Par le biais d’une exposition, critiquant le système de l’intérieur, BGL a affirmé son point de vue sur ce qui se vend le mieux actuellement en art contemporain. Il va de soi qu’il est plus facile pour les institutions, collectionneurs et amateurs d’art d’acheter des photographies plutôt que des installations, puisqu’elles posent moins de problèmes de conservation et sont moins encombrantes à entreposer. Néanmoins, quiconque désirerait se procurer les photographies de l’installation Effet de mode et autres pirateries du genre sans acheter la structure servant à faire tomber l’une d’entre elles trahirait le propos des artistes puisque le clin d’oeil de BGL , dans le cas de cette exposition, n’est pas celui de photographes, mais bien celui de sculpteurs.
Ariane Noël de Tilly est assistante de recherche pour le projet docam (Documentation et conservation du patrimoine des arts médiatiques) et détient une maîtrise en histoire de l’art de l’Université de Montréal.