[Hiver 2006-2007]
Museum of Modern Art, New York
du 11 juin au 4 septembre 2006
L’exposition Douglas Gordon: Timeline présentée au Museum of Modern Art (MoMA) de New York à l’été 2006 se voulait une rétrospective de mi-carrière de l’artiste écossais. De concert avec Gordon, le conservateur Klaus Biesenbach a choisi de montrer treize œuvres aux dimensions variables : de quelques mots inscrits sur le haut d’un mur à des installations vidéographiques de grande ampleur. Cette rétrospective aura été l’occasion pour l’artiste de revisiter certaines œuvres, mais aura surtout mis en valeur son travail portant sur l’image en mouvement.
Le parcours de l’exposition commençait par la présentation de 24 Hour Psycho (1993), œuvre qui a fait connaître Douglas Gordon et qui est certainement l’une de ses réalisations les plus marquantes. Sur un grand écran translucide était projeté le film Psycho (1960) d’Alfred Hitchcock. Le film d’une durée de 109 minutes a été ici étiré sur 24 heures et s’est vu amputé de sa bande sonore. Puis dans la seconde salle était présentée M: Futile Fear (2006), la plus récente œuvre de l’artiste. Il s’agit d’une installation vidéo à trois canaux accompagnée d’une bande sonore diffusée par six haut-parleurs. Pendant un peu plus de deux heures, il était possible d’écouter l’orchestre de l’Opéra national de Paris interprétant la trame sonore du film Vertigo (1958) de Hitchcock composée par Bernard Herrmann. Les trois projections au mur montraient des détails des mouvements du chef d’orchestre, James Conlon, dirigeant les musiciens, les images projetées à gauche et à droite étant des inversions de l’image projetée au centre. Pour la réalisation de cette œuvre, Gordon a réutilisé le métrage de son œuvre Feature Film (1999) dont deux versions coexistent, l’une muséale, l’autre cinématographique. Feature Film est le premier film qu’ait réalisé Gordon puisque toutes ses œuvres filmiques précédentes empruntaient le métrage filmé par d’autres réalisateurs. Dans son essai « Master and Rival » Philip Monk souligne avec justesse la différence entre 24 Hour Psycho où l’image prend toute la place puisqu’il n’y a pas de bande sonore et Feature Film où le son a davantage d’importance que l’image1. Dans M: Futile Fear, on trouve un équilibre entre son et image étant donné la triple projection murale et le parallèle établi entre la circularité du mouvement des mains du chef d’orchestre et la circularité de la musique de Herrmann. Comme le signale Raymond Bellour, toute cette partition a été pensée comme une boucle où les motifs viennent et repartent, en défiant toute tentative de chronologie2. Devant cette oeuvre, le visiteur perd totalement son rapport au temps puisqu’il est hypnotisé, voire même emporté dans un tourbillon d’images et de sons.
Bien que l’effet captivant de cette œuvre incitât à demeurer dans cette salle, une image projetée sur un long et étroit miroir placé dans le passage qui mène à une troisième salle piquait la curiosité et conviait le visiteur à poursuivre son exploration. En effet, le miroir renvoyait au regardeur l’image d’un éléphant se déplaçant dans un vaste espace blanc. Pendant quelques instants, on pouvait croire que cette bête se trouvait dans cette autre salle jusqu’au moment où, après un examen plus poussé de l’image projetée sur le miroir, on se rendait compte que l’éléphant était coupé par le cadre d’un écran. Play Dead: Real Time (2003) est une œuvre que Gordon a réalisée in situ à la Gagosian Gallery. Quelques mois avant d’exposer cette installation vidéo, Gordon avait fait entrer un éléphant dans la galerie avec son dresseur et l’avait filmé dans différentes postures dont celle qui donne son titre à l’œuvre : faire le mort. Pour la mise en vue inaugurale, l’artiste a présenté l’œuvre dans la même salle où il l’avait filmée, d’où la mise en abyme. Par sa monumentalité, Play Dead: Real Time se voulait aussi un propos sur le milieu de l’art new-yorkais, son gigantisme, voire même son allure de cirque.
La section finale de l’exposition présentait, entre autres, des monobandes de l’artiste. Dans la dernière salle, un minuscule moniteur encastré dans le mur diffusait B-Movie (1995), vidéo d’environ 29 minutes montrant une mouche sur le dos qui peine à se retourner. La petitesse de cette projection contrastait avec d’autres installations de l’artiste dont le déploiement dans l’espace est très impressionnant, rappelant que Gordon travaille non seulement la question du temps, mais aussi celle de l’échelle.
En terminant, il s’avère pertinent de souligner qu’il était surprenant, pour les visiteurs qui connaissaient un peu le travail de Douglas Gordon, que cette rétrospective n’ait pas abordé son travail photo-graphique3. Le catalogue de l’exposition, pour sa part, lui accorde une très grande importance puisque le conservateur et l’artiste ont travaillé ensemble pour rassembler plusieurs de ces photographies ainsi que des images d’événements survenus dans le monde depuis 1966, année de naissance de Gordon. Dans son essai « Sympathy for the Devil », Klaus Biesenbach discute autant du travail photographique que vidéographique de l’artiste écossais. Le conservateur se penche souvent sur le contexte de création de nombreuses photographies de Gordon dont son populaire Selfportrait as Kurt Cobain, as Andy Warhol, as Myra Hindley, as Marilyn Monroe, autoportrait réalisé en 1996 au moment où il a remporté le prix Turner et qui a servi de photographie officielle pour la presse. Le catalogue de l’exposition se termine sur des images placées en ordre chronologique et dont les sujets sont très variés : des tueurs en série anglais Myra et Ian Brady au groupe de musique pop américain Jackson 5, d’une publicité de Benetton au portrait de la princesse Diana, de la brebis Dolly au tremblement de terre de Banda Acèh en Indonésie. Ces images permettent de rappeler au lecteur divers événements qui se sont déroulés au cours des quarante dernières années. On pourra reprocher à ce catalogue de nous en apprendre plus sur l’artiste que sur son œuvre, mais il a toutefois le mérite de mettre en valeur les notions au cœur du travail de Gordon, soit le temps et la durée, d’où le titre très bien choisi de Douglas Gordon: Timeline.
1 Philip Monk, « Master and Rival », dans Double Cross. The Hollywood Films of Douglas Gordon, Toronto, The Power Plant & Art Gallery of York University, 2003, p. 162.
2 Raymond Bellour, « The Body of Fiction », dans Douglas Gordon, Feature Film: A Book, Londres, Artangel Afterlives, 1999, p. 3.
3 Cela était d’autant plus étonnant que l’artiste tenait, à la même période, une exposition solo de photographies intitulée Self-Portraits of You + Me à la Gagosian Gallery (Uptown), New York, 24 juillet - 1er septembre 2006.
Ariane Noël de Tilly est assistante de recherche pour le projet DOCAM (Documentation et conservation du patrimoine des arts médiatiques) et détient une maîtrise en histoire de l’art de l’Université de Montréal.