[Été 2007]
par Jacques Doyon
Les travaux présentés dans ce numéro dressent des cartographies conceptuelles de territoires en redéfinition : le réseau Internet, l’environnement naturel et les axes de circulation. On ne trouvera pas ici de cartographie au sens propre; celle-ci servira plutôt de métaphore et prêtera ses outils à des investigations et des approches qui interrogent notre relation avec ces environnements et sont porteuses de questions éthiques.
Les « paysages de données » (Datascapes) de Joan Fontcuberta explorent, sur le mode ironique et enjoué qui lui est familier, les enjeux de production et d’interprétation des images à l’ère de leur dématérialisation numérique. La série des Orogenèses détourne un logiciel permettant la transposition photographique de données cartographiques, en lui soumettant des photographies et des peintures de paysage ou des abstractions. Les images stéréotypées qui en résultent (variations de paysages sublimes ou de morphologies des reliefs) font voir l’importance centrale des codes servant à l’interprétation des données. Au moment où se mettent en place des systèmes d’interprétation automatisée de données à grande échelle, ce détournement esthétique a des échos profonds. La série des Googlegrammes, recomposant des images d’actualité en mosaïques photographiques faites de milliers d’images récoltées sur le Web au moyen de quelques mots-clés, propose quant à elle un commentaire sur l’anomie actuelle du cyberespace. Elle offre ainsi une sorte de cartographie mouvante de la trivialité et de la redondance caractéristiques des médias de masse, et de la pré-éminence d’icônes qui deviennent autant de poncifs.
Le photographe américain David Maisel réalise depuis plus de vingt ans, sous le titre générique de Black Maps, des séries de photographies aériennes de sites transformés à grande échelle par la main de l’homme. Bien qu’engagé dans les causes environnementales, Maisel ne produit pas une photographie documentaire. Il compose plutôt des images qui, par leur ambiguïté référentielle et leur jeu de textures et de couleurs, suscitent des sentiments mêlés de fascination et d’horreur, tout en soulevant des interrogations quant à ce qui se joue dans ces paysages. Se considérant d’abord comme un artiste visuel, très intéressé par la philosophie du land art et la pensée de Robert Smithson, Maisel conçoit ses images comme des méditations sur l’interaction de l’humain avec son environnement. Malgré la luxuriance de leurs coloris, ses « cartes noires » s’offrent comme la vision d’une possible apocalypse, une actualisation contemporaine du sublime. Terminal Mirage, le plus récent corpus de cette œuvre, ausculte la beauté tragique du Great Salt Lake, réceptacle d’une exceptionnelle concentration de minéraux, de bactéries et d’algues qui sont la résultante des effets combinés de la nature et de l’intervention de l’homme.
Dès les années 1960 et 1970, Bill Vazan produit des œuvres de nature performative et conceptuelle qui s’attachent à faire ressortir les lignes de marquage d’un territoire par la présence humaine. Il réalise ainsi une série de déambulations urbaines en empruntant un éventail de moyens de transport sur des axes de circulation importants. Ces diverses actions sont l’objet de protocoles soigneusement consignés, de même que d’enregistrements photographiques et vidéographiques qui témoignent de sa présence active tout en soulignant les points de jonction et les bornes qui révèlent un usage structurant du territoire. Lignes et points composent ainsi une géographie conceptuelle du territoire marquée par la présence humaine. Ses travaux évoluent ensuite vers des œuvres telles Canada Line, Wordline, Intercommunication Lines et Lifeline, qui concrétisent à une échelle élargie les lignes de circulation et les réseaux qui structurent le territoire, en continuant, quoique de façon plus conceptuelle, à mettre en évidence des points de localisation et d’ancrage. Les travaux de land art qui ont fait la réputation de Vazan prendront par la suite des dimensions plus cosmologiques.
Vous pourrez trouver une documentation supplémentaire sur chacun de ces travaux (dont l’intégrale de l’entrevue de David Maisel, réalisée par John K. Grande) en consultant notre site Web, à cielvariable.ca.