[Automne 2008]
Articule, Montréal
29 février au 30 mars 2008
Avec cette installation vidéo, Nelson Henricks signe une œuvre de maturité. Complexes et inspirants, les textes et les images s’y succèdent comme autant de rimes formelles qui exigent, de notre part, un regard et une écoute à la fois vigilants et ludiques.
Comme le titre l’indique, Le plan de la ville est une évocation visuelle et textuelle de marques et de tracés urbains, amorcée par Henricks lors d’une résidence à Rome. Dans la Ville éternelle, il a photographié de nombreux fragments de bâtiments, de statues et de tablettes antiques qui font le contrepoids à des images fragmentées de villes contemporaines. En filigrane apparaissent également des photographies d’objets d’allure banale, mais à résonance intime puisque collectionnés par l’artiste dès son enfance. Auteur du texte qui ponctue et relie l’ensemble, Henricks a également puisé dans l’Évangile selon saint Thomas (l’apôtre incrédule !) et dans le livre de l’Ecclésiaste.
Projetée au mur, la vidéo à deux canaux s’offre comme les deux pages d’un livre ouvert. D’abord, des photographies de fauteuils, statiques mais « activés » par un mouvement de caméra, nous situent dans une salle de cinéma et, une séquence ultérieure, dans une salle de projection alors que le texte dit : « Si vous pouviez voir toute ma vie du début à la fin… ». Entre ces deux salles, des fragments de tablettes sont accompagnés de phrases relatant l’aplanissement de maisons au profit de nouvelles qui feront sombrer dans l’oubli toutes les précédentes. Et nous nous trouvons ainsi dans le vif du sujet : la futilité et la fugacité de la vie humaine (le choix du livre de l’Ecclésiaste, qui nous enseigne que « tout est vanité », n’est pas innocent).
Cet enseignement dispensé par le temps, Henricks nous le décline à son tour à travers différentes métaphores – la ville, le corps, le bâtiment – qui elles-mêmes s’enchaînent. La ville prend la forme de cartes géographiques et de ruines romaines, de buildings et de graffitis. Ainsi, à la phrase « La ville ressemble à un grand citoyen étendu » (à laquelle fera écho plus loin « Chaque citoyen représente la ville en miniature ») répond une imposante statue d’homme allongé. Puis s’ensuit une enfilade de fragments de statues – torses, bustes, membres, traits du visage – que vient conclure une série de mains empoignant des livres. Cette dernière initie une séquence de rayons de bibliothèque, en alternance avec des écrits en latin sur tablettes accompagnés de textes à teneur métaphysique, qui débouchent sur des enseignes au néon dont le contenu (perçage, vidéo, pizza, disques…) semble confirmer que, sur la place publique en Occident, le commerce et la consommation ont remplacé la religion et la philosophie.
L’espace manque ici pour traiter de chacune des sections de cette œuvre d’une vingtaine de minutes. Mentionnons simplement que plusieurs des éléments sont repris dans diverses séquences, tels les personnages d’un film, sur un mode qu’on pourrait qualifier de spiralé, puisque la place de l’être humain dans le monde en occupe toujours le centre mais vue d’angles différents. Personnage important, le livre pourrait également être perçu comme un citoyen (bon ou mauvais) et la bibliothèque comme une ville. Parmi les innombrables livres présentés, j’ai pu reconnaître À la recherche du temps perdu qui reçoit un traitement particulier puisqu’il est le seul à être manipulé non seulement comme un objet, mais comme un instrument de percussion.
Également présente, la création est un sujet qui se matérialise par des dessins(le premier étant celui de la main de l’artiste), apposés à leurs référents réels(brocheuse, cendrier, appareil photo, projecteur, verre, tasse…), qui constituent autant de natures mortes contemporaines. En les faisant se côtoyer, Henricks semble poser la question du rôle de l’art, à laquelle, dans une section subséquente où il associe sa tâche d’artiste à des images de nouveau-né, il apporte lui-même la réponse suivante : « pour donner la vie ».
Accompagnés de sons électroniques ou de silence, parfois déposés sur des aplats de couleur, toutes ces images et ces textes concluent sur une dernière série où défilent, à répétition, les photographies de quelques personnes. Ces flashes nous ramènent à nous-mêmes et à notre condition. Et devant cela, que faire d’autre que de créer pour laisser ses propres traces ?
Colette Tougas est auteure, traductrice et coordonnatrice de projets. Elle vit à Montréal.