[Été 2009]
par Jacques Doyon
Ce numéro propose un premier constat de la présence de la photographie artistique dans l’art public urbain. La notion d’art public évoque bien sûr les programmes d’art public gouvernementaux mis en place, au Québec et à Montréal, depuis quelques décennies. La photographie occupe toutefois une place mineure dans ces programmes.
Elle y a été admise tardivement et se retrouve souvent reléguée à des lieux intérieurs, sa matérialité précaire apparaissant peu compatible avec une intégration permanente aux places publiques extérieures.
Une telle intégration ne constitue pourtant qu’un des modes possibles de la présence de la photographie sur la place publique. Ainsi, depuis les années 1970, nombre d’initiatives artistiques ont exploré à peu près tous les modes d’une présence plus ponctuelle de la photographie dans l’espace urbain (de l’affichage sauvage à la négociation de l’usage des supports publicitaires, jusqu’à la création d’appareils de communication mobiles), ainsi que tous les supports et tous les lieux existants (panneaux, murs et écrans de tous formats; rues, couloirs, mobilier urbain et véhicules de transport). Dans ce numéro, les projets d’ATSA et de Peter Gnass relèvent d’une telle volonté d’intervention artistique dans la ville.
Ces dernières années, un certain nombre de nouvelles initiatives institutionnelles ont vu le jour à Montréal. Ces initiatives se démarquent par une volonté d’inscrire la photographie dans l’espace public d’une façon plus durable, tout en préservant le caractère événementiel de sa présentation. Leur commune stratégie est celle d’une utilisation des panneaux d’affichage géants, soit les lieux les plus marquants de la publicité urbaine. Cette utilisation est la plupart du temps négociée : c’est le cas pour le projet Plan large, de Quartier éphémère, pour les événements de Mouvement Art Public (MAP), de même que pour les expositions du Musée McCord rue McGill. Seul, le Musée d’art urbain (MAU) se distingue par l’ambition de fonder un musée d’un nouveau type, basé sur l’usage de panneaux d’affichage consacrés à ses propres projets.
Il ressort de l’ensemble de ces initiatives institutionnelles et des expérimentations artistiques des dernières décennies que l’affichage sous toutes ses formes apparaît comme le mode d’apparition publique privilégié de la photographie. Ce territoire de visibilité dans l’espace public, aujourd’hui largement dominé par la publicité, est aussi celui de l’expression démocratique, qu’elle soit de nature politicienne ou citoyenne. La photographie artistique y intervient en s’appropriant et en détournant les stratégies de communication pour proposer des temps d’arrêt et de réflexion à contre-courant du flux ininterrompu d’informations, de sollicitations et de pressions dont est saturé l’environnement urbain. La photographie artistique peut être présente dans la ville, elle peut rivaliser avec la fonctionnalité et la performativité dominantes, pour peu que sa spécificité médiatique, fondée sur sa relative précarité matérielle et sa reproductibilité, soit prise en compte.
Ce numéro propose un premier aperçu de l’extension du territoire de la photographie artistique à la ville. Il montre un éventail d’initiatives, de stratégies, de durées, de sites et d’intentions. Il propose des balises et les réflexions de quelques auteurs pour circonscrire un objet à analyser plus en profondeur.