[Automne 2009]
par Martha Langford
Repeat Offender (1986) est une œuvre que Michael Snow a réalisée pour la revue Photo Communique; il répondait à une commande lancée dans le cadre d’un numéro spécial, dirigé par Elke Town, sur les thèmes imbriqués des médias et de l’appropriation. Dans son introduction, Town assigne le rôle de dénominateur commun à la photographie techniquement reproduite, un ready-made abordé dans la pratique critique. Il s’agissait ici d’une mariée duchampienne, dont l’ironie était mise à nu. La revue présentait des œuvres des artistes Ian Wallace, David Buchan, Snow, Liz Magor et Keith Smith, chaque œuvre à sa manière âpre, voire sujette à controverse, par son choix de contenu et d’image. Repeat Offender de Snow était l’enfant du milieu de cette famille apparentée – la photo de « pin-up » pour ainsi dire – et comme tout ce qui est au centre, l’image était surdéterminée par association et conséquemment réservée.
Repeat Offender de Snow n’est toutefois pas un hommage à son modèle, mais plutôt le souvenir photographique d’un objet, soit une image de pin-up prise dans Penthouse.
Pour produire Repeat Offender, Snow a photographié une image de pin-up portant le même titre, du modèle de dix-huit ans Cami O’Connor, prise par John Copeland pour le compte de la revue Penthouse. Ces renseignements sont préservés dans l’œuvre, bien qu’ils soient encryptés par le processus utilisé par Snow, qui inverse chacune des quatre doubles pages et en élimine la couleur, lui substituant un voile granuleux et une focalisation imparfaite en raison du « renflement du centre ». Quand on place l’œuvre devant un miroir, on peut en saisir le texte. Il semble que Cami, plutôt que l’artiste ou le spectateur, soit la « récidiviste » (repeat offender) originale, puisqu’elle s’adonne à l’autoérotisme ou, comme le formule le poète de Penthouse, qu’elle « vise les étoiles » (reaching for the stars). Certaines photographies de Copeland comportent une forme de voyeurisme, le sujet semblant avoir été capté sans en être conscient, alors que dans d’autres, Cami croise l’œil mécanique comme si elle avouait franchement son plaisir et le contrôle qu’elle a sur son corps. Son cinéma mercenaire en amusera certains. D’autres, comme Snow, le jugent fascinant.
Repeat Offender de Snow n’est toutefois pas un hommage à son modèle, mais plutôt le souvenir photographique d’un objet, soit une image de pin-up prise dans Penthouse. Son traitement photographique est direct, dépourvu d’ironie ou d’autocritique. En 1986, elle était conçue pour être contemplée comme une œuvre d’art : une abstraction en noir et blanc de l’original. Qu’elle ait également fait réagir les législateurs ontariens en matière de censure est secondaire en ce qui concerne son producteur. La position de Snow sur la censure est bien connue : il l’a défendue en cour et articulée (avec hardiesse) dans son film muet So Is This (1982). Néanmoins, ce n’est pas un artiste qui aborde les enjeux sociaux. Town, quant à elle, a fait preuve de finesse en insérant l’œuvre dans une discussion plus élargie sur le regard; elle lançait ainsi un défi à la poli- tique sexuelle, sociale, raciale, psychologique et intellectuelle de l’époque, ce qui constitue un moment-clé dans les études culturelles canadiennes.
Si l’on regarde Repeat Offender aujourd’hui, en ayant à l’esprit les piles de magazines Penthouse qui jonchent le sol du bureau de Snow de même que les études ouvertement appréciatives de la figure féminine qui parcourent son œuvre, on peut se figurer le plaisir qu’éprouve l’artiste lorsqu’il fait de la recherche. Il aime les représentations de femmes. Cette œuvre, toutefois, repose sur l’objectivation du magazine en soi dont les caractéristiques matérielles, telles qu’on peut les voir sur un présentoir, sont préservées. Repeat Offender constitue la petite histoire de la photographie telle que racontée par Snow qui la voit comme un système fermé de dualités : « la projec- tion, le reflet, la masturbation, le silence, l’exhibition- nisme, le voyeurisme, le fétichisme concentrés […] dans la photographie érotique1 ». Cette histoire se poursuit dans un travail récent intitulé La Revue (2006), qui reprend les quatre doubles pages de Photo Communique, de sorte que le « renflement du centre » est recréé et souligné par la sensuelle forme ondulée qui l’enserre. La fonction crée la forme.
Traduit par Colette Tougas
Michael Snow, un des artistes canadiens les plus reconnus sur la scène internationale, a commencé sa carrière à Toronto dans les années 1950. Artiste multidisciplinaire, il est à la fois peintre, musicien et sculpteur, bien qu’il soit davantage connu pour sa production filmique et photographique, qui traite de manière exploratoire de la temporalité et de l’espace. Ses œuvres font partie des collections de la majorité des grands musées, notamment le Musée d’art moderne de New York, le Centre Georges Pompidou à Paris, le Musée Ludwig à Cologne et à Vienne et le Musée des beaux-arts du Canada. Michael Snow a reçu le prix du Gouverneur général du Canada en arts visuels et médiatiques en 2000 pour ses films. Il est membre de l’Ordre du Canada et chevalier de l’Ordre des arts et lettres de la France.
Martha Langford a écrit les ouvrages Suspended Conversations: The Afterlife of Memory in Photographic Albums (2001) et Scissors, Paper, Stone: Expressions of Memory in Photographic Art (2007), tous deux publiés par McGill-Queen’s University Press. Elle est professeure agrégée à l’Université Concordia et titulaire de la Chaire de recherche en histoire de l’art.