Les Rencontres de Bamako, Biennale africaine de la photographie – Dominique Fontaine

[Printemps/été 2012]

Les Rencontres de Bamako
Biennale africaine de la photographie
9e édition, Pour un monde durable
Du 1er novembre 2011 au 1er janvier 2012

Tous les deux ans, début novembre, Bamako devient la capitale malienne de la photographie africaine. Reconnues comme la principale manifestation culturelle d’en­vergure internationale axée sur les enjeux de la photographie contemporaine et de la vidéo en Afrique, Les Rencontres sont incontestable­ment l’une des plus fascinantes biennales du monde artistique. Ce qu’il y a de formidable dans cette biennale, c’est qu’on a l’occasion d’y voir plein d’œuvres et de rencontrer des artistes qui sont généralement peu présents dans les expositions présentées au Canada. Un autre aspect réjouissant de cette mani­fes­tation est son ouverture et sa convivialité qui permettent aux gens de se rencontrer, de se parler et d’élargir leurs réseaux. À Bamako, toutes les activités, officielles et parallèles, sont ouvertes à tous.

Venus d’Afrique, d’Europe, d’Asie, des Amériques, d’innombrables profes­sion­nels du monde de l’art ont convergé au Mali du­rant la semaine professionnelle des 9es Rencontres de Bamako, Biennale afri­caine de la Photographie. Fait inédit, pour la première fois dans l’histoire de l’événement, une délégation qué­bé­coise, dont je faisais partie, y parti­cipait. Michket Krifa et Laura Serani, les directrices artistiques des 9es Rencontres de Bamako ont choisi un thème : « Pour un monde durable ». Elles ont convié des photographes et vidéastes du continent et de la diaspora africaine à s’exprimer sur des enjeux actuels des questions écologiques, du libéralisme économique, de la mondialisation. Ces préoccupations contemporaines sont courantes et restent marquées par des convictions concernant l’environnement. Choix thématiques qui, même s’ils ratissent très large, sont fort judicieux. En effet, l’exposition panafricaine de la Biennale regorgeait d’excellentes séries et de propositions fortes. Au moyen de ces dernières, les artistes ont pu témoigner, dénoncer, désigner des axes d’action et signes de résistance ou encore suggérer un nouvel Éden. En voilà quelques-unes : Le Trousseau, 2005-2009 de Ymane Fakhir (Maroc), œuvre sobre et autobiographique liée à des phénomènes socioculturels ; Animal Farm, 2009-2010 de Daniel Naudé (Afrique du Sud), portraits majestueux d’animaux ; une des images de la série Parrot Jungle, 2009 de Lien Botha (Afrique du Sud) figure un nouvel Éden possible qui sert merveilleusement de signature visuelle aux Rencontres de Bamako 2011.

Quant aux expositions monographi­ques, par leur grande qualité, leur mise en espace et leur propos, elles venaient éminemment compléter l’exposition pan-africaine. Il faut citer, entre autres, les brillantes monographies consacrées à des artistes établis ou émergents : Ex Offenders de David Goldblatt, Dans l’enfer du cuivre de Nyaba Léon Ouedraogo, Oil rich Niger Delta de Georges Osodi, Un regard de Kiripi Kaembo. Nous retenons particulièrement l’exposition de Nii Obodai, From the Edge to the Core, organisée par la commissaire Laura Serani. Cet essai documentaire de l’artiste ghanéen sur son pays, 50 ans après l’indépendance du Ghana, soulève de façon critique et poétique la confrontation entre culture historique et instant présent. Cette remarquable installation photographique est d’une sensibilité délicate, d’une richesse visuelle, d’une poésie intemporelle qui nous transportent dans un univers onirique et sublime. Malheureusement, le flou thématique a cantonné certains artistes de l’exposition panafricaine dans une sorte de littéralité, comme l’accumulation de déchets, les populations menacées, les catastrophes écologiques ou environnementales. Même si les différentes œuvres choisies pour illustrer le thème Pour un monde durable l’ont abordé selon différentes approches – documentaires et journalistiques ou encore récits métaphoriques et fictionnels – l’objectif tel qu’exprimé dans le catalogue par les directrices artistiques, qui était de donner « la mesure de l’effervescence et du renouveau permanent de la scène photographique africaine », n’a pas permis de faire le point sur la production artistique actuelle du continent africain.

Il est ainsi regrettable que le choix des œuvres exposées n’ait pas aidé à mieux circonscrire la thématique. Nous aurions souhaité que ce choix permette d’établir un dialogue plus cohérent entre les œuvres. Nous aurions surtout aimé que l’exposition panafricaine crée un contexte pour réévaluer et repenser nos connaissances sur l’art ou la photographie. Hélas, la mise en espace trop linéaire ne favorisait ni ce dialogue entre les œuvres, ni une lecture critique de la photographie et de la vidéo.

Malgré cela, ce qui rend les Rencontres de Bamako exceptionnelles et les distingue des autres manifestations internationales, ce sont non seulement ses expositions mo­­nographiques, mais aussi l’ensemble des projets qui s’y greffent. Par exemple, l’exposition patrimoniale issue du projet Mali Archives Photos nous faisait découvrir ou redécouvrir plusieurs artistes. Les clichés des photographes Soungalo Malé, Abderramane Sakaly, Malick Sidibé s’inscrivent dans ce créneau. L’hommage rendu aux artistes tunisiens et égyptiens avec l’exposition Le printemps arabe, organisée par la commissaire Michket Krifa, est dans la même veine. Enfin, l’hommage au regret­té Goddy Leye, de la jeune commissaire Ruth Belinga, propose une rétrospective essentielle de son œuvre.

Au terme de la semaine des Rencontres, un jury de professionnels africains et étrangers a décerné les prix et les récompenses. Six prix de 1500 à 3000 euros ont été remis aux lauréats de 2011. Le prix Seydou Keïta, grand prix des Rencontres décerné par le ministère de la Culture du Mali, a été attribué à Pieter Hugo (Afrique du Sud) pour Permanent Error, 2009-2010, série de portraits conceptuels de chercheurs de cuivre du marché d’Agbogbloshie à Accra (Ghana). Nyaba Léon Ouedraogo (Burkina Faso) et Nyani Quarmyne (Ghana) ont remporté ex aequo le prix de l’Union européenne, distinguant le meilleur travail de photographie de presse ou de reportage ; Ouedraogo a été récompensé pour Erreur humaine, 2010, reportage de fond traitant de la décharge publique d’Akouédo à Abidjan (Côte d’Ivoire), alors que Nyani Quarmyne (Ghana) a réalisé une série révélatrice de la gravité de l’érosion des côtes ghanéennes. Jehad Nga (Libye) a, quant à lui, obtenu le Prix du jury pour son travail sur les Turkanas du Kenya. Le prix de l’Organisation internationale de la francophonie a été décerné à Khalil Nemmaoui (Maroc) pour sa série La Maison de l’arbre, qui met l’accent sur les tensions entre la nature végétale et l’urbanisation. Élise Fitte-Duval (Martinique/Sénégal) a reçu le prix Casa Africa pour son document sur des quartiers de Dakar dotés d’infrastructures non adaptées aux changements climatiques. Le prix de la Fondation Blachère pour la vidéo a été décerné à Khalid Hafez (Égypte) pour sa pièce The A77A Project: On President & Superheroes, 2009, œuvre ironique et humoristique mettant en scène le retour du dieu des enfers, Anubis.

Paris Photo, reconnaissant l’effervescence de la photographie africaine, a mis l’Afrique à l’honneur lors de sa récente manifestation. Dans une synergie donnant suite à la semaine professionnelle des 9es Rencontres de Bamako, les directrices artistiques ont présenté à Paris Photo 2011 African Emerging Photography, un aperçu prometteur de la nouvelle géné­­ration de photographes et vidéastes africains. Outre l’invitation aux Rencontres de Bamako, Paris Photo 2011 a accueilli une série de photographies issues de l’exposition Events of the Self: Portraiture and Social Identity qui regroupe des œuvres de photographes africains de la collection d’Artur Walther.

L’Institut français fera circuler hors de Bamako l’ensemble des expositions des Rencontres 2011. Plusieurs pays européens et africains les accueillent déjà. Un avis est ainsi lancé aux institutions québécoises ou canadiennes ! Quelle sera l’institution au Québec et/ou au Canada qui aura l’audace et l’ouverture de présenter dans un avenir proche une des expositions des Rencontres de Bamako, Biennale africaine de la Photographie ? Il est grand temps que nos publics québécois et/ou canadiens découvrent cette photographie africaine créatrice et dynamique. Quant à moi, les Rencontres de Bamako me semblent un incontournable des réseaux internationaux dans un contexte accru de mondialisation de l’art contemporain.

Dominique Fontaine, commissaire, vit et travaille à Montréal. Elle développe actuellement un projet inédit qui met en avant la scène artistique contemporaine du continent africain, à travers une série d’événements programmés au Canada et en Afrique au cours des cinq prochaines années 2012-2017 : résidences d’artistes, expositions accompagnées d’ateliers, confé­­rences et publications. Elle dirige depuis 2005 aposteriori, une plateforme de recherche « curatoriale », qui s’intéresse à l’innovation dans les domaines de la documentation, de la production et de la promotion de diverses pratiques artistiques contemporaines.

 
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