Charles-Antoine Blais-Métivier et Serge-Olivier Rondeau, After Faceb00k – Christelle Proulx

[Printemps-été 2013]

Centre Skol, Montréal
Du 4 juin au 10 août 2012

Par Christelle Proulx

Réseau social le plus achalandé du monde, Facebook est fréquenté par plus de 900 millions d’utilisateurs qui publient au-delà de 300 millions d’images quotidiennement. Cette quantité impressionnante d’images constitue une archive visuelle monumentale et mérite qu’on s’y attarde. Afin de se pencher sur le sujet, Charles-Antoine Blais Métivier et Serge ­Olivier Rondeau ont conçu le projet After Faceb00k dans le cadre d’une résidence de recherche estivale du Centre des arts actuels Skol. Ils proposent de constituer une collection des images diffusées « publi­quement » et en quantités phénoménales sur ce réseau. Instables et éphémères, ces images ne sont pas cataloguées et le titre du projet indique ce souci de documentation à saveur archéologique en demandant ce qu’il restera de cette gigantesque archive par la suite.

Les photos ont été sélectionnées par les deux artistes sous une fausse identité après de longues heures de recherche. Le compte a été forgé afin de leur permettre de rôder librement dans l’espace public du réseau puisque ses paramètres de confidentialité n’autorisent pas l’accessibilité de tout le contenu. Le projet pose alors de façon frappante la question des limites entre le public et le privé dans le cyberespace, de même que celle de la propriété intellectuelle.

Afin d’orienter leur périple aux confins de ce territoire virtuel, Blais-Métivier et Rondeau ont emprunté différentes stratégies de navigation, en partant par exemple d’une page personnelle ou commerciale dont le matériel est prometteur, ce qui leur permet de suivre une chaîne d’associations. En déambulant ainsi dans l’espace densément photographique déployé par Facebook et ses usagers, ils appréhendent ce site comme un nouvel espace public en ligne dans lequel on peut prendre des photos. Leur approche anthropologique rappelle un peu celle des grands photographes de rue traditionnels et, comme eux, ils parcourent des lieux riches en sujets à documenter où ils prennent plusieurs photos.

Plutôt que des téléchargements, les images produites par les artistes sont des captations d’écran des photographies choisies. Elles contiennent donc beaucoup d’information additionnelle sur la photo captée : le nom de la personne qui l’a partagée, l’URL, le nombre de « j’aime », les commentaires, et parfois les sujets et le lieu de l’image. Les différentes pages visitées sont aussi visibles dans les onglets, laissant la trace du chemin parcouru par les artistes pour arriver à cette image. Apparaît aussi cette petite planète grise près de la date de publication, une icône qui signale que le contenu auquel nous avons affaire est « public ». Les images montrent également le nom du navigateur utilisé, la date de la captation et même le niveau de charge de la batterie du portable à ce moment exact.

Les captations d’écran sont ensuite assemblées sous forme de grilles thématiques des plus variées afin de construire une typologie de ces images. Elles rendent compte de la répétitivité des genres, mais aussi de pratiques sociales spécifiques et de sujets favoris, selon les pages rattachées à certaines régions. En plus d’attester de la subjectivité des « photographes » qui ont fait les sélections, cette façon de procéder démontre comment les photographies sur Facebook, si banales soient-elles, sont des photographies enrichies par leurs contextes et volontairement partagées par les sujets.

Les artistes ont constaté que les photographies mises en ligne par les internautes représentent le sujet dans une intimité presque impossible à atteindre pour un photographe traditionnel. Même si ces sujets prennent en charge leur propre mise en scène, les photos témoignent souvent d’une certaine naïveté face à cette pratique d’exposition de soi. En cherchant à créer des liens avec des images, on voit apparaître ce que Dominique Cardon appelle le « paradoxe de la privacy »1. Ce paradoxe est celui de vouloir à la fois s’exposer en toute liberté et ne pas être vu de tous ou de ceux qui se situent trop loin de la zone d’interconnaissance.

After Faceb00k nous propose de regarder ces photographies à la fois quelconques et redondantes comme des documents qui attestent du mode de vie réel des millions d’utilisateurs de Facebook. Blais-Métivier et Rondeau se sont donné pour mission d’ordonner ce matériel, de le tirer de son univers submergé d’information afin de mettre en relief les récurrences de l’image partagée sur le réseau social, selon leur propre sensibilité. En exposant la place centrale qu’occupe la photographie dans nos vies sociales en ligne, le projet nous montre la conversation visuelle qui se construit dans le Web.

1 Dominique Cardon, La démocratie Internet, Paris, Seuil, 2010.

 
Christelle Proulx est étudiante à la maîtrise en histoire de l’art à l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur la photographie, le Web et les nouvelles technologies.

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