Nathalie Bujold, éMotifs – Sonia Pelletier

[Hiver 2014]

Nathalie Bujold
éMotifs
Turbine, Montréal
Du 11 mars au 9 mai 2013

Par Sonia Pelletier

À l’issue d’un projet réalisé dans le cadre d’une résidence programmée par le centre de création, de formation, de recherche et de diffusion Turbine, Nathalie Bujold présentait un travail photographique intitulé éMotifs à l’école Chanoine-Joseph-Théorêt à Verdun. Bien qu’il paraisse discret, son créneau étant associé à la création pédagogique, le centre Turbine1 tire bien son épingle du jeu depuis 1999 en encadrant et présentant des artistes actifs dans le milieu des arts visuels québécois. Il tente la difficile mais nécessaire affiliation avec les milieux artistique, scolaire et communautaire. Accompagné par un éducateur (Yves Amyot, à la fois fondateur et directeur de l’organisme), l’artiste collabore étroitement avec lui dans un scénario commun visant à favoriser un apprentissage chez les participants au projet. Tout en respectant l’exploration et l’expérimentation liées au processus créatif, chacun des membres du tandem artiste/éducateur doit aboutir à une expérience différente de celle de l’autre selon les potentiels en présence. Ici, Yves Amyot s’est investi dans l’univers de Nathalie Bujold par l’intermédiaire d’une création vidéo.Au vu des résultats, c’est sur un terrain de jeu fort entraînant et amusant que l’artiste s’est aventurée avec les sept groupes de cette école primaire comptant environ cent quarante enfants accompagnés par leurs professeurs.

Plusieurs travaux qui en ont résulté ont pris la forme de portraits photo­graphiques : d’abord une série à la manière photomaton (quatre visages représentant quatre expressions différentes), ensuite des visages grandeur nature découpés en parties représentant des bouches, des fronts, des yeux ou des nez pour former autant de masques à porter et à interchanger entre enfants. De ce matériel sont également nés de petits livres, dont Nous et Duos, constitués de portraits tirés d’une collection d’expressions de deux enfants, ainsi que plusieurs folioscopes (flip books). En se replongeant dans son enfance, l’artiste confiait avoir abordé ce travail par de petits gestes répétitifs qui évo­quent pour elle la routine et la disci­­­-pline de l’école. Elle s’est rappelé aussi que, toute jeune, elle aimait reprendre les portraits trouvés dans la rubrique nécrologique des journaux, les découper et les reclasser selon une nomenclature liée aux types de visages. Un petit rituel qu’elle effectuait méthodiquement et ludiquement.

Dans un même esprit récréatif, ces travaux comportent un aspect performatif indéniable qui réside notamment dans la construction des fragments de masque et les combinaisons infinies qu’elle permet pour la réalisation des portraits et de la vidéo. Les projets initiés avec Turbine prévoient que l’artiste laisse à l’organisme, à la fin de sa résidence, une œuvre publique créée lors de son passage. Souvent truculente dans la formulation de ses titres, Nathalie Bujold a livré une œuvre intitulée Personne. Il s’agit d’un portrait d’enfant grand format fabriqué à l’aide de cent trente-sept photos des personnes impliquées dans le projet.

Le résultat est, disons-le, assez touchant, car il est à la fois inclusif dans l’intention, mais aussi anonyme dans sa dénomination tout autant que dans son aboutissement. Il est enfin difficile d’attribuer un sexe à ce portrait d’autant que placé au bas d’un escalier et vu de loin, ce visage hermaphrodite apparaît entièrement pixélisé. Cela rappelle qu’au fil du temps, un modus operandi plutôt à rebours des conventions s’observe dans le travail de Nathalie Bujold. Elle procède par une sorte de rassemblement de motifs ou d’images fragmentaires pour recomposer un tout morcelé qui en fait ressortir la fabrication. Les résultats de cette mécanique, qui opère par les mouvements de rapprochement et d’éloignement du spectateur, font parfois penser aux tableaux des impressionnistes ou d’un Miquel Barceló par exemple. Ce traitement de l’image est omni­présent et au cœur de la démarche de l’artiste depuis plusieurs années. Pensons notamment à l’exposition Pixels et petits points (2004), où plusieurs photographies ont été recomposées en broderies. Ces « ouvrages », comme elle les appelle à juste titre, sont aussi fragmentés par le canevas. Plusieurs de ses monobandes révèlent aussi une construction similaire2. Plus récemment, Hit (2012), un projet toujours en cours, poursuit en ce sens avec la création de pièces jacquard dont la technique produit des motifs sur tissu et donne à voir un aspect tramé.

L’engouement des enfants pour cette proposition artistique était évident lors du vernissage. À l’ère de l’information où il est maintenant convenu d’affirmer que l’image est omniprésente, ce type de travail ne pouvait qu’être bienvenu pour de nouvelles générations déjà familières avec la photographie. Réfléchir sur un usage plus artistique et sur le potentiel créatif et infini de ce médium favorise une expérience qui marque la mémoire et stimule le souvenir. Avec candeur, je dirais que l’on peut s’attendre à une relève et qu’il s’agit là d’un bon point pour Turbine et Nathalie Bujold.

1 www.centreturbine.org/
2 http://espritpratique.wordpress.com/

 
Sonia Pelletier est coordonnatrice à l’édition de la revue Ciel variable.

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