Que peuvent bien avoir en commun les portraits de ces gens ici rassemblés (gitans, mineurs, aristocrates, modèles, noctambules…), si ce n’est que les moyens mis en oeuvre par les photographes leur confèrent une certaine dignité ? Autre trait qui réunit aussi les démarches de ces artistes : le croisement de références et de savoir-faire photographiques et picturaux qui s’incarne dans les clairs-obscurs, les cadrages, les poses, les textures et le drapé des vêtements, les ports de tête et, par-dessus tout, les regards.
Ce désir de valoriser les sujets photographiés se décline bien différemment selon les motivations de l’artiste et le contexte de référence. Pierre Gonnord photographie ainsi des personnes de tous âges et de toutes origines, souvent inconnues, qu’il amène à se révéler devant nous avec une sorte d’humilité. Leurs visages portent les dures marques du temps et de leur condition, pourtant leur regard est intense, leur présence, forte. Avec des éclairages en clair-obscur et le jeu des poses et du drapé des vêtements, Gonnord parvient à portraiturer ces êtres d’une manière qui ennoblit leur existence.
Christian Tagliavini s’intéresse à la mode. Ici les sujets s’effacent derrière les modèles. Tagliavini emprunte à l’esthétique d’une époque singulière pour créer des vêtements et des mises en scène qu’il photographie ensuite. Un véritable travail d’artisan qui, par les subtiles variations des textures, des couleurs et des coupes, évoque les codes de sociabilité d’une époque de même que les multiples possibilités d’une individuation. La dignité chez lui est de l’ordre de la distinction.
Gabriel Coutu-Dumont, de son côté, transfigure littéralement la foule nocturne de Glasgow en réalisant, avec un attirail de photographe ambulant, une série de quatre-vingt cinq portraits individuels sur fond noir, qu’il présente ensuite en une galerie de portraits sur le mode des Salons français du XIXe siècle. Le jeu des clairs-obscurs et des poses met en valeur le style vestimentaire personnel et, surtout, l’espèce d’étincelle qui habite et singularise chacun d’entre eux.
Du grand art dans tous les cas, qui repose sur une réelle maîtrise des moyens et témoigne d’un regard aigu et sensible sur la multiplicité des existences.
Jacques Doyon