[Été 2025]
Éditorial
par Jacques Doyon
Trois livres d’artistes récents se croisent ici, qui sont construits sur la base d’une quête identitaire ancrée dans la dualité, la rencontre et la mémoire. Ces oeuvres témoignent d’une recherche de soi tissée de récits de vie, de liens diasporiques, de transmissions d’héritages. Le portrait et l’autoportrait photographiques occupent une place centrale dans ces narratifs imagés qui retracent les origines, le passage du temps et une expérience de l’altérité.
Le livre de Mallory Lowe Mpoka, Architecture of the Self: What Lives Within Us, reflète bien la complexité de la construction identitaire de cette artiste de descendance camerounaise et belge, née à Montréal, s’affirmant comme queer, et devenue, depuis le décès de sa grand-mère, matriarche de sa famille bamiléké. Les archives photographiques, l’autoportrait et une présence sensorielle des matériaux traditionnels (terre rouge, pisé, textile), combinés à un jeu sur la matérialité des pages (avec fenêtres découpées, transparence, inséré et feuillet qui se déplie), se retrouvent au coeur de ce livre, imaginé à la fois comme un palimpseste et comme un kaléidoscope, pour évoquer une exploration et une appropriation progressive des multiples dimensions et sensations d’une vie où le faire, la matérialité, la perception des choses et des gens occupent une place centrale.
Kiss Landing, de Fatine-Violette Sabiri, se présente comme un imposant volume photographique recelant les traces d’une navigation entre les deux pans d’une identité ancrée sur deux continents. Relatant des allers-retours réguliers entre Montréal et Casablanca, les images rendent compte des liens amicaux et familiaux qui fondent l’univers intime de l’artiste. Composé surtout de portraits d’amis et de la famille, mais aussi de vues d’intérieurs et de paysages des deux côtés de l’Atlantique, sans qu’on sache toujours de quel côté on se trouve, ce livre est un peu comme un album intime au sein duquel les multiples appartenances, animées d’une belle intimité et de beaucoup d’affection, se répondent et se fusionnent sans heurt. Il relate dix années d’une vie qui sont aussi des périodes de découverte et d’exploration de la photographie.
C’est un projet d’une nature bien singulière qu’a entrepris il y a déjà dix ans Ed Pien, artiste torontois originaire de Taïwan, avec un groupe d’aînés vivant à Cuba pour échanger sur leur perception du passage du temps, et ce, sans limite temporelle, sauf en cas de décès ou de retrait volontaire de chacun des participants. Son titre, Presente: Pasado/Futuro, exprime bien la condensation temporelle ici en jeu, où avenir et passé se conjuguent en un présent qui s’écoule lentement. La publication en deux volumes, qui réunit portraits photographiques, enregistrements vidéo, extraits de conversations et essais, rend compte de ce cheminement et garde trace des rencontres, anniversaires et décès. La très longue durée de ce projet et sa localisation singulière, soulignée par la prédominance de l’espagnol, font preuve d’un réel engagement autour de questions universelles.
[ Numéro complet, en version papier et numérique, disponible ici : Ciel variable 129 – D’un continent à l’autre ]
[ L’article complet en version numérique est disponible ici : ]