Josée Pedneault, Talle – Laurie Boivin

[Automne 2024]

Josée Pedneault, Talle

par Laurie Boivin

SAGAMIE, Saguenay
19.01.2024 — 15.03.2024

[EXTRAIT]

Avec l’exposition Talle, présentée au Centre SAGAMIE à l’hiver 2024, l’artiste Josée Pedneault nous présente une expérience méditative, frôlant le merveilleux, tirée de la délicate végétation qui parsème les sous-bois septentrionaux du Québec.

Il est d’abord intéressant de souligner que ce corpus d’œuvres a été réalisé dans le cadre des missions photographiques développées par les Rencontres de la photographie en Gaspésie. Ces résidences de création jumellent les artistes et des territoires afin d’accroître les réflexions sur le paysage contemporain québécois. Dans cet esprit, Josée Pedneault a voulu se détourner des panoramas grandioses qui font l’orgueil du Saguenay–Lac-Saint-Jean en posant son regard sur une nature plus discrète, celle de la cueillette sauvage encore bien implantée dans sa région natale. Les talles, telles que définies par l’artiste dans le texte d’exposition, « sont des endroits où les fruits des bois pous­sent en abondance, des lieux secrets, gardés jalousement, dont on hésite à divulguer l’emplacement précis ». S’aventurant à la quête de ces sites singuliers et quasi miraculeux, elle a alors amorcé sa propre redécouverte du patrimoine sylvicole jeannois guidée par sa mère, cueilleuse aguerrie.

Dans la série Cueillir, la photographe dessine de son corps le tracé exploratoire effectué sur les terrains de récolte par l’entremise de quatre cartographies extraites du logiciel Google Earth. S’engouffrer de quelques mètres à travers les aulnes pour ensuite revenir dans le sentier afin de mieux repartir vers une éclaircie prometteuse : ces déplacements reproduisent instinctivement le vol chaotique de l’insecte pollinisateur. La carte, outil de visualisation de données habituellement précis, est ici le vestige d’une déambulation saccadée sur le territoire, menée par les sens et la mémoire des cueilleuses. Cette tension, opérant entre rigueur et approximation, est renforcée par la stratégie de mise en espace des œuvres : imprimées sur un support transparent et installées à distance du mur, les images projettent une ombre qui crée un dédoublement des trajectoires. Une impression de flou s’en dégage alors, ce qui rend difficile, voire impossible, l’identification des zones explorées. Les pistes sont brouillées et l’anonymat de ces précieux peuplements, préservé.

À l’instar de cette manière de représenter les lopins de terre, l’identité des personnes qui ont accompagné la photographe à l’été 2022 demeure insaisissable. Dans une autre série photographique entre paysages et portraits, nous ne voyons parfois que quelques couvre-chefs colorés qui percent à travers les herbes hautes tandis que, sur d’autres images, seuls les broussailles et les conifères sont visibles. Une œuvre se détache dès lors de l’ensemble et montre une cueilleuse agenouillée sur un tapis de lichen, la tête penchée, la main au sol, dans une posture qui évoque aussi bien le glanage que le recueillement. Cette attitude rappelle une maxime du philosophe et poète américain Ralph W. Emerson : « À travers la tranquillité du paysage, et spécialement sur la ligne lointaine de l’horizon, l’homme contemple quelque chose d’aussi magnifique que sa propre nature1 ». L’artiste nous fait ainsi le témoignage d’un moment d’intériorité pendant lequel la glaneuse, le regard plongé vers l’apparent calme de l’infiniment petit, semble scruter les contours de son propre paysage intérieur.

Le public doit lui aussi s’incliner pour mieux apercevoir les sculptures lumineuses qui composent l’installation éponyme Talle déposées à même le sol de la galerie. Josée Pedneault a créé un parcours à son intention où il est invité à circuler à travers des formes arrondies, semblables aux chapeaux des glaneurs, et à découvrir lentement une constel­lation miniature formée de planètes bordées de noir, chacune avec sa propre flore rustique remplie de mousses, de fougères, de rhubarbes et de bleuets sauvages. Contrastant avec le plancher bétonné de la salle d’exposition, ces microcosmes évoquent le dôme végétal des microforêts, sortes de nouveaux écosystèmes luxuriants qui ont récemment fait leur apparition dans le paysage urbain. Ils attestent ainsi la multiplication des initiatives municipales et citoyennes de verdissement, et retracent l’émergence salutaire de petits édens dans l’apparente grisaille des villes. Espaces de ressourcement, minuscules banques alimentaires et abris, ces espaces végétalisés ne possèdent-ils pas un caractère miraculeux ? Au cœur de la forêt ou en ville, leur présence verdoyante réincarne un peu les fonctions des églises aujour­d’hui graduellement désertées.

Cette méditation sur la sacralité de la nature culmine devant une large voûte qui s’ouvre sur un minuscule enchevêtrement racinaire de pousses mousseuses. Jouant encore une fois sur l’échelle des éléments représentés, cette dernière photographie opère comme une synthèse de l’exposition à travers laquelle Josée Pedneault nous invite à nous reconnecter avec l’environnement, en nous émerveillant à nouveau devant l’infime parcelle végétale du paysage.

NOTES
1 1 Ralph W. Emerson, La Nature, Paris, éditions Allia (édition originale 1836), 2009, p. 15. 

[ Numéro complet, en version papier et numérique, disponible ici : Ciel variable 127 – SŒURS, COMBATTANTES, REINES ]
[ L’article complet en version numérique est disponible ici : Josée Pedneault, Talle – Laurie Boivin]