Nathalie Bujold, Métroscopies – Sylvain Campeau

[Automne 2024]

Nathalie Bujold, Métroscopies

par Sylvain Campeau

Ellephant, Montréal
31.01.2024 — 16.03.2024

[EXTRAIT]

Nathalie Bujold a décidé, en 2020, en pleine pandémie, de tirer avantage de la situation comme elle le pouvait. Fascinée par le métro de Montréal qui accompagne et permet nos déplacements depuis 1966, elle a parcouru celui-ci de long en large et cherché comment elle pouvait rendre compte de sa plastique et de sa mobilité. Le contexte lui était favorable. La fréquentation était moins importante et, surtout, l’obligation d’y porter le masque en tout temps rendait l’intrusion et la captation des visages acceptables.

Cette démarche d’enregistrement vidéo de la réalité est systématique et appliquée. Munie d’un simple téléphone cellulaire, l’artiste mène avec rigueur une opération qu’elle qualifie d’épuisement d’un lieu hautement significatif, porteur d’une signature visuelle connue par ses usagers. Les quatre lignes et 68 stations trouvent donc place dans cette exposition qui regroupe onze écrans, pour une projection d’une durée totale de 77 minutes. Afin d’offrir de l’ensemble une vision cohérente et d’une certaine constance, Nathalie Bujold a adopté un positionnement défini au sein des rames occupées et s’est assurée que celui-ci révèle, lors des arrêts en station, un intérêt, un détail significatif et des présences humaines caractéristiques des usages et des passages au sein de ce moyen de transport.

S’ajoute à cet enjeu une difficulté épineuse. Les lignes ne sont pas constituées d’un nombre égal de stations et ne sont pas non plus de même étendue. Il a fallu y aller de choix esthétiques et formels qui sont à l’aune de la configuration du réseau. La ligne bleue se présente en trois écrans, avec une durée de projection dans les 4 minutes. La partie orange est représentée par quatre écrans : trois d’entre eux avoisinent les 10 minutes et plus, et le quatrième, dédié à la section de Laval, ne propose que 2 min 23 s. La ligne jaune a été recueillie en un écran, qui compte 5 min 19 s. La dernière, la verte, déploie ses composantes dans un seul écran, pour un total de 26 min 36 s. D’une ligne à l’autre, la vitesse n’est pas la même et comme certains écrans sont plus massifs que d’autres, l’expérience varie, révélant plutôt le laqué de l’image, les arêtes des carrés de couleurs. C’est ainsi pour la ligne jaune, au plus petit nombre de stations. La vitesse y attire moins l’œil que le déploiement des carrés, plus lent. Le hachoir du temps et des images ralentit et le mouvement cubiste est plus langoureux, donnant plus à voir. On se demande dès lors si ce hachis n’offre pas une autre image, que l’on peine à voir d’ordinaire et qui serait à deviner ici ; ce serait celle, latente, que le mouvement, sans cesse, nous dérobe de la plasticité des vues.

Tous ces choix confèrent à l’ensemble à la fois unité et diversité. Unité, puisque l’allure générale reste la même. Diversité, car les rythmes et les durées varient, comme les lieux que l’on distingue, les passants qui nous apparaissent, les détails de ce qui nous est finalement fort bien connu. Tout est principalement affaire de mouvement. Car les images ne sont au fixe que durant les arrêts en station. Par la suite, dès que le départ s’amorce, l’image se décompose en une multitude de petits carrés qui s’enfilent et se précipitent en suivant ce mouvement grandissant de déportation vers l’autre station. Ces formes s’apparen­tent à des pixels obèses, engraissés par le travail de l’artiste. Il en va comme si l’image se désintégrait puis se recomposait, dérangée ou démangée par le mouvement. Le tout est conçu pour que cet emportement suive le rythme d’accélération et de décélération du métro. On reconnaît alors ce qui compose ses fluctuations, et que l’on connaît très bien. Ensuite, ce sont couleurs et lignes, formes et compositions, le détail d’une voie d’accès où se profilent les passagers, qui nous projettent dans la fami­liarité de cet environnement.

On a là, c’est évident, une ode qui célèbre le métro, qui en entonne le mouvement. Elle nous berce en se mettant au diapason de cela même qui nous emporte (ou enjôle, ou ébranle, ou dodeline) en nos sorties et allers et venues. Il en va comme si l’artiste était allée au germe même des couleurs et de la motilité du métro, et du temps de nos déplacements. Qu’elle nous en rendait la teneur en une sorte de kaléidoscope qui, une fois sa pelure réaliste retirée, insiste sur les formes, couleurs et rythmes de ce que nous expérimentons.

[ Numéro complet, en version papier et numérique, disponible ici : Ciel variable 127 – SŒURS, COMBATTANTES, REINES ]
[ L’article complet en version numérique est disponible ici : Nathalie Bujold, Métroscopies]