Simon S. Belleau, Répliques – Jean-Michel Quirion

[Automne 2024]

Répliques

par Jean-Michel Quirion

Fonderie Darling, Montréal
28.03.2024 — 26.05.2024

[EXTRAIT]

Après un séjour en résidence de plusieurs mois à Rome, en Italie, l’artiste montréalais Simon S. Belleau revient dans la métropole pour présenter sa plus importante exposition en une décennie de carrière : Répliques. Son retour lui permet également de retrouver l’espace des Ateliers Montréalais de la Fonderie Darling qu’il a occupé de 2019 à 2023 à même le bâtiment dans lequel est déployé son projet.

Pour ce corpus majeur, Simon S. Belleau continue de déconstruire et reconstruire la notion de langage par l’interprétation et la traduction d’éléments textuels et visuels. Il use en ce sens de diverses inspirations pour échafauder ses œuvres, notamment des références aux cinquième et septième arts, le théâtre et le cinéma. Le vocabulaire de Belleau incite l’auditoire à s’intéresser, au-delà de l’écran, à l’arrière du décor, à ce qui est dissimulé derrière chaque scénario. L’artiste compose le présent projet à l’intervalle de la mise en scène et de la recherche géo-historico­socio-politique. Il porte plus particuliè­rement attention aux négociations qui se produisent entre le visible de la re­présentation (au théâtre et au cinéma) et ce qui est caché dans les coulisses. Les préceptes qui définissent à la fois la dramaturgie et la politique sont des engrenages inhérents à sa pratique. Les mécanismes utilisés afin de réaliser cette exposition se dérobent, de prime abord, à la vue du public. La Fonderie Darling n’est pas convertie en un amphithéâtre, mais en un lieu de répétition, de tournage et même de montage. Il y a dans cet ensemble une dimension processuelle qui déjoue les appréhensions. Répliques laisse toutefois place, par sa démesure, au spectaculaire.

Le film Répliques : scènes 1–4 (2024) est diffusé sur un imposant écran élevé au centre de la grande salle. Omniprésente dans cet espace, la surface écranique fait de l’ombre à la lumière naturelle. Belleau a engagé des acteurs et des actrices. En tant que régisseur et réalisateur, il dirige ses protagonistes d’une voix qui leur murmure les répliques par l’intermédiaire d’une oreillette ostensiblement montrée dans le film. Il n’y a aucune dissimulation. Comme l’affirme Milly Alexandra Dery, commissaire à la Fonderie, les paroles susurrées sèment l’incertitude sur « qui dit quoi » : un (para)langage en décalage dont la source originale n’est pas directement accessible. La voix de Belleau devient ainsi l’écho anticipé de ce qui est à prononcer. Les séquences de l’œuvre filmique scénarisée en quatre temps sont narrées par les artistes Eve Tagny, Frances Adair Mckenzie et David Armstrong Six (en duo), la chanteuse Anna Arrobas, puis le comédien Dominick Rustam. Une scène culminante est édifiée sur la reprise de la pièce culte Everything is free (2001) de la chanteuse country Gillian Welch. Écrite en réaction à l’émergence des plateformes de reproduction musicale et leur non-réglementation, la composition fait office d’avant-propos aux enjeux actuels de l’intelligence artificielle menaçant la propriété intellectuelle et la reconnaissance du travail artistique. Remaniée et interprétée par Arrobas en une ode envoûtante, la chanson résonne par-delà la salle et semble même hors d’atteinte. Au fil des semaines, des scènes s’ajouteront à la production, à la façon d’un montage en cours.

L’acte d’appropriation – ou de copier et de coller, pour reprendre les mots de Dery – de l’information est fondamental à l’assemblage d’une vingtaine d’œuvres de papier trouvé disposées çà et là sur les murs de la Fonderie Darling. La série est constituée d’affiches superposées en des structures-surfaces non hiérarchi­ques. Chaque carré ne dévoile qu’une seule image, celle du dessus. En intégrant le support médiatique de l’affiche, Belleau mise sur les valeurs intrinsèquement cumulatives et répétitives du langage et des images. À la manière de l’intelligence générative, l’artiste travaille avec du matériel qu’il s’approprie – ou s’auto-approprie à partir de ses œuvres.

Simon S. Belleau s’engage envers l’architecture de l’espace dans une logique d’inversion – une stratégie récurrente dans sa pratique. Les codes monumentaux et verticaux sont détournés par une intervention horizontale qui divise la grande salle de façon symétrique. Le plafond est abaissé par une immense grille technique utilisée pour des décors scéniques. Le regard du public, machinalement orienté vers le haut, est ainsi limité vers le bas, à une échelle réduite. Il s’agit là d’une décision hautement indiquée pour rappeler les normes de cadrage au cinéma.

Alors que toutes formes d’art se retrouvent de plus en plus désincarnées en raison de l’intelligence artificielle et d’une multitude de technologies, la proposition de Simon S. Belleau appelle aux possibilités des arts de jouer. Témoin complice de l’artiste, le public prend un rôle actif dans cette exposition conditionnée et indéterminée, dont les rouages de conception semblent en constante activation. Les œuvres allusives sont des envies de répliquer, des incitations à (ré)agir sans les influences simulées et assimilées du virtuel.

[ Numéro complet, en version papier et numérique, disponible ici : Ciel variable 127 – SŒURS, COMBATTANTES, REINES ]
[ L’article complet en version numérique est disponible ici : Répliques]