Éditorial

[Hiver 1999-2000]

par Franck Michel

Tous les objets sont à la fois des supports de relation et de communication, des poteaux indicateurs de nos rêves, avoués ou secrets, et des outils pour nous assimiler le monde.1
— Serge Tisseron

Il n’a pas souvent été question des objets en ces pages. Suite à une suggestion de Jennifer Couëlle, nous avons décidé qu’il était grand temps d’y consacrer un numéro avec comme point de départ l’œuvre de l’artiste montréalaise, Johanne Gagnon. Dans son travail récent, elle inventorie et photographie les dessous de ses objets quotidiens : bol, cafetière, passoire, casserole… Épurées à l’extrême, ses images nous montrent l’envers des choses et redonnent une âme à ces objets utilitaires que nous ne prenons plus jamais le temps de regarder.

Nous présentons aussi une partie de l’œuvre – qui, nous semble­t-il, relève d’une démarche semblable – de Robert Pelletier, artiste montréalais qui nous a quittés beaucoup trop vite il y a déjà quelques années. Ce Chercheur de Trésor, comme il se définissait lui-même, parcourait inlassablement le sol à la recherche d’objets altérés par le temps, à moitié enfouis dans la terre ou oubliés quelque part. Ses trésors étaient des choses les plus banales, sans valeur, d’un passé récent – morceaux de pot d’échappement, serrure rouillée, fragment d’assiette, petite boîte – qui, magnifiées sur fond noir, retrouvent le temps d’une photo, une dignité perdue. Cette série de Robert Pelletier est un constat touchant sur notre société de consommation en même temps que le témoignage contemplatif d’un collectionneur de « petits riens sans importance ».

Fable écologique et réflexion sur la folie du monde, l’œuvre de l’Américain Robert ParkeHarrison allie à la démarche de collectionneur et d’archéologue sans but celle de l’inventeur, (ou plus précisément de « patenteux »). À l’aide de fragments d’objets industriels ou naturels récupérés, il crée des machines farfelues et démesurées. Dans chacune de ces photographies, Robert ParkeHarrison se met en scène comme expérimentateur de ses inventions qui deviennent ainsi un prolongement de son propre corps. Chez ParkeHarrison comme chez Gagnon et Pelletier, les objets banals et inintéressants s’élèvent, le temps de l’image, au rang privilégié d’objet d’art. Leurs œuvres portent également un regard subtil mais incisif sur notre société régie par la quête constante de nouveaux objets.

En finissant, je me dois de prévenir les lecteurs que ceci est mon dernier éditorial. J’ai choisi de quitter la rédaction de CVphoto, pour me consacrer, entre autres, à ma propre pratique artistique et prendre l’air du Bas du fleuve. Je tiens à remercier toute l’équipe de CVphoto, qui m’a aidé, soutenu et fait confiance au cours de ces années. Je tiens aussi à remercier les lecteurs qui sont de plus en plus nombreux à supporter et à croire en cette revue. CVphoto est un outil de diffusion indispensable pour la photographie contemporaine au Québec et au Canada, et je ne peux que lui souhaiter une longue vie.

1 Serge Tisseron, Comment l’esprit vient aux objets, Paris, Aubier, 1999.