Nicholas et Sheila Pye, Vanitas – Nathalie Guimond

[Printemps 2010]

Galerie Art Mûr, Montréal
Du 15 août au 12 septembre 2009

En couple dans la vie comme en création, le duo d’artistes considère sa relation amoureuse comme le point de départ d’une incursion métaphorique au cœur des modes de communication et des liens secrets qui unissent les individus entretenant une relation privilégiée. S’amusant à brouiller les frontières entre leur vie et leur art, Nicholas et Sheila Pye abordent les questionnements et les grandes vérités préoccupant les humains en état de fusion amoureuse. Par la photographie, la vidéo, la performance et l’installation, ils élaborent des autofictions hautement chargées et poétiques, à la présentation léchée. De manière récurrente, ils y abordent des thèmes comme la perte de soi ou de l’autre, la désexualisation, l’artificialité et la transfiguration. Leurs créations sont pourtant bien loin de l’autobiographie narcissique, puisque ce n’est pas d’eux-mêmes qu’ils parlent : c’est la relation amoureuse qui est décortiquée, et ce qu’ils mettent en lumière, ce sont surtout ces choses qui peuvent mal tourner au sein d’un couple.

Abandonnant les luttes de pouvoir qui les avaient fascinés dans leurs travaux précédents – le thème de la mort n’est plus traité de manière violente : Vanitas présente au contraire « une vision salvatrice et bienveillante de la mort, qui devient, malgré une difficile période de deuil, métaphore de changement, de retour à la nature et de renaissance »1 – les artistes présentent toujours dans leurs œuvres cette ambigüité dramatique inhérente à la nature des relations amoureuses et nous font voir, toujours dans une grande densité sémantique et visuelle, cette oscillation de l’intimité entre désir et répulsion, permanence et effacement, rapprochement et désunion.

Une vanité est une catégorie particulière de la nature morte dont la composition allégorique suggère que l’existence terrestre est vide, vaine, la vie humaine précaire et de peu d’importance. Très répandu à l’époque baroque, ce thème s’étend à des représentations picturales comprenant aussi des personnages vivants. Dans l’exposition Vanitas, les Pye jouent avec le thème de la nature morte pour examiner leur propre relation. On a affaire ici à une élaboration symbolique sur la mort et sur le couple, mais avant tout, c’est des illusions qu’on y parle, de la fugacité des choses vivantes et des lois immuables de la transformation.

D’entrée de jeu et en droite ligne avec les memento mori hollandais qui évoquaient l’aspect transitoire de la vie humaine, il y a Sugar Skull, photographie présentant un (moulage de) crâne fraîchement déterré, entouré de fleurs mortes et ayant vraisemblablement servi de chandelier. La cire qui a coulée sur le crâne est noire, et reprend un motif que l’on trouve dans l’installation vidéo Dark Swans. Pour Dark Swans, les Pye posent très hiératiquement, comme des portraits victoriens, devant un fond de forêt lugubre. Sur un écran, le visage de Sheila et sur l’autre, celui de Nicholas, tous deux d’une grande sérénité. Pendant la vidéo de 10 minutes qui passe en boucle, le visage de l’un se couvre d’un liquide noir qui l’« efface » progressivement, pendant que la même substance noire se retire du visage de l’autre. Renvoyant au thème de la fuite du temps et au principe des vases communicants, cette exposition est principalement composée d’œuvres « en miroir ». Dans Vanitas I et II par exemple, Sheila, le visage de nouveau peint de noir, est vraisemblablement morte. Elle tient des fleurs fraîches et Nicolas, bien vivant, tient des fleurs mortes au milieu desquelles jaillit une flamme. Cette flamme n’est pas le feu destructeur de leur série précédente, mais bien celui, bénéfique, de la purification et du renouveau.

Les constructions que les Pye conçoivent pour servir de décor à leurs courts métrages et œuvres photographiques sont une partie importante de la génération du processus narratif. Ces petites chambres oniriques, délibérément intemporelles, sont franchement claustrophobiques. Étant donné l’échelle de la scène, les actions de chacun des personnages deviennent hyper-théâtralisées, et l’espace devient lui-même un « corps » contenant le drame qui s’y joue, comme on peut le constater dans Thaumaturge (Feminine), Thaumaturge (Masculine) et Porphyria. Cette dernière photo renvoie à la nouvelle Porphiria’s Lover, écrite par Robert Browning en 1836 : dans un élan de passion, un homme étrangle son amante avec ses propres cheveux.

Nicholas et Sheila Pye favorisent donc dans leur pratique un opulent vocabulaire pictural inspiré de l’histoire de l’art et de la littérature. Le duo évite avec soin les pièges de la documentation de la performance, et leurs photographies et films reconfigurent intelligemment leurs influences et les thèmes qui leur sont chers. Ainsi, ils réussissent à entraîner le spectateur dans un univers envoûtant et théâtral, par des mises en scène toujours contrôlées qui doivent beaucoup au surréalisme. Ces dernières versent efficacement du côté de l’« inquiétante étrangeté » par cette manière qu’elles ont d’être à la fois évocatrices et inexplicablement familières. Et il s’agit là de leur plus grande force.

1 Ève de Garie-Lamanque, dépliant présentant l’exposition à la Galerie Art Mûr.

Nathalie Guimond possède une formation combinant anthropologie et histoire de l’art. Elle écrit sur les arts visuels depuis une dizaine d’années pour différents journaux et magazines et signe des textes de catalogues d’exposition. Elle est également commissaire à ses heures et les pratiques influencées par la science-fiction sont son domaine de prédilection.