Martin Désilets, Entre des fragments de choses, d’espace et de temps – Sylvain Campeau

[Automne 2012]


Martin Désilets
Entre des fragments de choses, d’espace et de temps
Commissaire : Patrice Loubier

Maison des Arts de Laval
Du 25 février au 6 mai 2012

La rencontre de la peinture et de la photographie ne semble pas avoir donné d’œuvres marquantes dans l’histoire de cette dernière, même récente. En fait, il fut un temps où la peinture contribuait à l’impression de réel de l’image (ou plutôt dans l’image) grâce à des rehauts de couleurs couchées à même la surface de l’épreuve. Force est toutefois d’avouer que Martin Désilets a réussi là où plusieurs ont échoué. On pourrait croire, et cela serait vrai, que le tout tient au fait d’avoir utilisé la photographie non pour ce qu’elle est dans son rendu final, mais pour ce qu’elle fait aux spectacles naturels et urbains qu’elle rencontre, aux scènes qui se proposent à elle et qu’elle reproduit avec les moyens qui lui sont propres.

Il y a certes de cela dans la pratique de Martin Désilets. Qu’on s’en convainque en étudiant de près ses Élégies. Ces images, aux apparences de gravures et de grattages ou striures colorés, sont en fait des photographies prises à l’île Notre-Dame sur le circuit Gilles-Villeneuve. Elles montrent des résidus de gomme de pneus sur les murets de protection du circuit. On croirait se retrouver face à des œuvres devant tout au dripping tellement la maculature colorée domine tout. La matière caoutchouteuse s’est évidemment accumulée sur la surface, si bien qu’on s’étonne de ne pas voir cette accumulation dense former relief sur le papier. Pour cette série, Martin Désilets a donc utilisé la photographie pour traquer ce qui, dans son entourage (il fait du vélo sur le circuit Gilles-Villeneuve !), lui permet de convoquer des pratiques picturales particulières. Il en va de même avec Les Agglomérations où une répartition en quadrillages d’images photographiques et d’œuvres faites d’acrylique sur papier entrent dans un ballet de rapports de formes apparentées. Il va même ainsi jusqu’à la découpe d’une carte postale et à l’assemblage en réseaux de plusieurs pour créer des effets de marqueterie et de mosaïque.

Son effort esthétique tend donc, par la peinture, le dessin et la photographie, à la construction de formes connues, parce que usitées dans des constructions urbaines ou appartenant à une histoire de l’art. Mais la photo sert à traquer et à reproduire ces formes familières dans leurs apparitions fortuites au sein de compositions dépendant de l’angle de vue ou de rencontres inattendues. D’où une oscillation cons­tante, dans cette œuvre, entre construction et fortuité des formes. La série Fading Icons ne dit pas autre chose. En celle-ci, les références sont avouées. Dans des œuvres dont les intitulés révèlent une filiation aux Molinari, Malevitch et Mondrian, l’artiste a repeint et réorganisé les formes géométriques de tableaux emblématiques de l’abstraction. Puis, il les a photographiées en effectuant des mouvements de caméra qui brouillent et démultiplient ces formes créées. La photographie saisit et cite, renouvelle et met à distance les antécédents picturaux de l’abstraction et du constructivisme. Ces œuvres sont donc les résultats de rencontres inopinées. Cela est évident dans une autre série intitulée Marquer le territoire — Transformer l’espace. Certaines images montrent les divers objets qu’utilisent les Montréalais quand vient le moment de se réserver, dans la rue, un espace pour le camion de déménagement, le 1er juillet. Ou bien y apparaissent des coulis de vieilles peintures, restes jetés, des transformations de panneaux de signa­lisation, d’étranges graffitis accidentels résultant de matières et liquides rejetés.

Jusque-là, la matière peinte n’est pas intervenue directement sur une surface qu’elle aurait partagée avec la photographie. D’ailleurs, les médiums employés se profilent, en quelque sorte, en second plan. Ce sont les motifs et les formes qui forment le nœud central de cette esthétique, dans leur prédominance et leurs migrations. C’est, d’une certaine manière, leur prégnance, leur insistance, leur part cachée, le soin assidu qu’ils prennent à s’imposer dans notre imaginaire iconographique ; tout cela montré dans un élan de traversée qui les fait migrer des références éminentes de l’histoire de la peinture à nos environne­ments urbains et naturels. Puisque, aussi bien, c’est de là qu’ils provenaient en premier lieu, que ces formes et motifs n’ont été qu’empruntés et saisis là et que Martin Désilets les retourne à leur lieu d’origine.

C’est là que vient se proposer la série dite Latences et crépuscules, faite de 15 images, de 50 x 66 cm, réparties dans une grille qui les aligne en trois rangées horizontales de cinq. En celles-ci, la peinture vient, parfois seule, parfois sur la trame d’une image-photo, s’épandre en courants longitudinaux, en ondes dansantes. Ici, les édifices et édicules sont autant de formes architecturales, proposées en avant-plan des matières de lumières tombantes ou régnantes, densifiées à force de peinture.

Sylvain Campeau a collaboré à de nombreuses revues, tant canadiennes qu’européennes (Ciel variable, etc, Photovision et Papal Alpha). Il a aussi à son actif, en qualité de commissaire, une trentaine d’expositions présentées au Canada et à l’étranger. Il est également l’auteur de l’essai Chambre obscure : photographie et installation et de quatre recueils de poésie.

 
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