Par Érika Nimis
New Photography from Africa, 2015-2017
Mars 2016. Un vent de fraîcheur souffle sur la grosse pomme : il nous vient des piers 92 et 94 du West Side de Manhattan où l’Armory Show a élu domicile pendant toute une semaine. Si l’esprit révolutionnaire de 1913 n’est plus vraiment présent, reste que cette grande foire où l’on vient surtout « consommer » de l’art met en valeur, pour la première fois cette année, la jeune création contemporaine africaine, notamment les œuvres de quelques photographes que l’on retrouve par ailleurs exposées dans certaines galeries en vue de Chelsea (Jack Shainman, Axis Gallery ou David Krut Projects) et à la foire d’art contemporain africain 1:54 tenue à Brooklyn en mai 2016. Autre lieu renommé de Chelsea, le Walther Collection Project Space, du nom du collectionneur à l’origine du projet, Artur Walther, présente depuis l’automne 2015 un cycle d’expositions intitulé New Photography from Africa.
Fin avril 2016, l’International Center of Photography de New York (ICP) distinguait Artur Walther aux Infinity Awards pour son implication en tant qu’administrateur de cette noble institution, mais aussi et surtout pour son engagement à faire rayonner la photographie internationale à New York. Qui est Artur Walther ? Né en 1948, il a fait fortune dans la finance au service de la société Goldman Sachs jusqu’en 1994, année de sa retraite. Depuis, il se consacre à l’une des plus grosses collections de photographies et d’oeuvres vidéo au monde. Dédiée au départ à la Neue Sachlichkeit, mouvement photographique allemand de l’entre-deuxguerres, la collection évolue pour devenir l’un des fonds privés les plus importants de photographie contemporaine africaine1 et se développe au gré des projets de recherche, qui débouchent sur des expositions et des publications.
La Walther Collection est installée depuis juin 2010 dans un complexe muséal de quatre galeries à Neu-Ulm, en Allemagne, ville natale d’Artur Walther, et dispose depuis avril 2011 de ce « Project Space » à New York, qui programme des cycles d’expositions thématiques conçus par des commissaires invités de renommée internationale tels que Tamar Garb ou Okwui Enwezor.
Dans cette collection, dont Brian Wallis, ancien commissaire à l’ICP, avait donné un très bel aperçu aux Rencontres d’Arles en 20142, se côtoient pêle-mêle des « classiques » de la photographie mondiale tels que Karl Blossfeldt, August Sander, Stephen Shore, Bernd et Hilla Becher, Richard Avedon ou encore Nobuyoshi Araki et des « incontournables » de la photographie africaine devenus eux aussi des « classiques » : Samuel Fosso, Seydou Keïta, J. D. ’Okhai Ojeikere, Malick Sidibé (disparu en avril 2016), de même que les Sud-Africains David Goldblatt, Santu Mofokeng, Zanele Muholi, Jo Ractliffe et Guy Tillim (voir le dossier sur la photographie sud-africaine, CV91).
Mais revenons au cycle d’expositions en cours, New Photography from Africa, qui fait le pari de la relève, en présentant les œuvres de photographes et vidéastes émergents nés au tournant des années 1980. La première partie de ce cycle, intitulée Lay of the Land, présentait, de septembre 2015 à janvier 2016, les travaux de trois photographes qui explorent la ville. L’Angolais Edson Chagas, avec sa série Found Not Taken3, proposait trois grands formats couleur d’objets déchus trouvés au gré de ses déambulations dans Luanda ou Londres et magnifiés ici en sculptures du hasard. François-Xavier Gbré (basé à Abidjan) assurait la partie centrale de l’exposition, avec deux commandes spécifiques pour la collection, dont un papier peint représentant l’escalier en fer forgé de l’ancien palais du gouverneur à Lomé et une série de soixante-trois petits formats couleur représentant des détails architecturaux, des fragments de murales, traces d’un parcours intime dans plusieurs villes d’Afrique sahélienne. Mame-Diarra Niang (qui partage son temps entre Dakar et Paris) clôturait en beauté ce premier volet très réussi avec un montage rythmé de trois séries couleur d’abstractions architecturales prises à Dakar et à Johannesburg, Sahel Gris, At the Wall et Metropolis.
Le deuxième volet, Close to Home, proposait de février à mai 2016 le regard de cinq photographes qui documentent le quotidien de la jeunesse urbaine. Les travaux de trois d’entre eux sont déjà connus des lecteurs de Ciel variable (voir CV102 et CV103). La Kényane Mimi Cherono Ng’ok présentait, sous forme de diaporama, des extraits de deux séries en cours dont The Other Country, narrant l’expérience du retour au pays natal après une longue absence. Musa N. Nxumalo explorait quant à lui la vie nocturne des jeunes de Soweto dans deux séries, Alternative Kidz (2009) et In/Glorious (2015) : de grands portraits noir et blanc énergiques et décalés où la musique tient un rôle central. Le travail de Thabiso Sekgala, disparu prématurément en 2014, était également présent à travers quatre portraits couleur de facture classique tirés de sa série sur les vestiges de l’apartheid dans un ancien bantoustan, Homeland (2009-2010), tandis que Sabelo Mlangeni, adepte du 6×6 et du noir et blanc argentique, montrait des portraits complices et ludiques, saisis sur le vif, tirés de deux séries, My Storie (2012) et Black Men in Dress (2011, portraits saisis lors de la Gay Pride de Johannesburg). À noter que ces trois photographes sud-africains, Nxumalo, Sekgala et Mlangeni, sont passés par le Market Photo Workshop, école de photographie à Johannesburg reconnue pour avoir donné un nouveau souffle à la création photographique contemporaine sud-africaine. Dernier photographe présenté dans ce second volet, et non des moindres, le Nigérian Andrew Esiebo, dans la plus pure tradition du reportage social, livrait un regard intérieur sur les salons de coiffure masculine en Afrique de l’Ouest : des cadrages sobres, des portraits couleur posés, empreints de dignité, un classicisme intemporel qui le place d’emblée dans la famille des documentaristes.
Bien que chacune des séries présentées soit très forte prise séparément, l’ensemble de Close to Home péchait par son déséquilibre dans l’accrochage, qui ressemblait à un montage artificiel d’images présentées dans des formats et sur des supports différents autour d’une thématique pour le moins floue. L’équipe assurant le commissariat semble en effet avoir priorisé les volontés de chaque artiste, plutôt que pensé l’exposition comme un tout.
Le troisième et dernier volet de ce cycle consacré à une certaine « nouvelle photographie d’Afrique », celle principalement des foires d’art contemporain, abordera la performance et le corps, notamment à travers des œuvres vidéo.
2 Brian Wallis (commissaire d’exposition), The Walther Collection. Typologie, taxinomie et classement sériel, Espace Van Gogh, Rencontres d’Arles, 2014.
3 Cette série lui a valu un Lion d’or pour la meilleure participation nationale à la Biennale de Venise en 2013.
Érika Nimis est photographe (ancienne élève de l’École nationale de la photographie d’Arles en France), historienne de l’Afrique, professeure associée au Département d’histoire de l’art de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Elle collabore activement à plusieurs revues et a fondé, avec Marian Nur Goni, un blog dédié à la photographie en Afrique : fotota.hypotheses.org/.