EXPRESSION. Centre d’exposition de Saint-Hyacinthe
Du 9 novembre 2019 au 26 janvier 2020
Par Sylvain Campeau
L’exposition que présente Jocelyn Philibert au Centre Expression, à Saint‑Hyacinthe, réunit deux corpus d’œuvres qu’un coup d’œil trop rapide se risquerait à trouver très différentes. On retiendrait alors le seul fait qu’on a là, d’une part, des scènes nocturnes et de l’autre, des scènes de jour aux dimensions nettement plus impressionnantes. Ce serait passer sous silence le fait que l’une comme l’autre de ces séries semble présenter une sorte d’égale luxuriance. Celle-ci se montre certes évidente dans le modelé des images de nuit, alors qu’une part du feuillage est éclairée par un éclairage artificiel qui frappe et en décuple la richesse. Pour les images prises de jour, elle l’est tout autant dans l’exubérance des couverts végétaux des grands corps arboricoles qui occupent très sciemment le centre de la scène, et autour desquels des sujets gravitent.
On aura compris que les unit le fait que, dans toutes ces scènes, l’arbre soit central. Là, apparemment, se trouverait le cœur d’un tel projet esthétique.
Commençons par les prises de nuit. Elles semblent d’abord ne montrer aucun réel signe distinctif. On pourrait les suspecter de ne se différencier en rien de ce que peuvent à l’occasion nous révéler nos phares automobiles, au gré d’un tournant sur une route de campagne. Pourtant, quelque chose ne correspond pas tout à fait. Les feuilles sont frappées par la lumière de façon différente. On peine à imaginer d’où peut bien provenir cet éclair. Il semble sculpter de manière bien singulière cette manifestation végétale. On ne saurait donc trouver à cette lumière de source qui puisse nous apparaître un tant soit peu logique. De plus, ce soulignement qu’elle apporte aux arbres fait qu’ils se profilent dans le ciel et jaillissent de l’obscurité, telles des sculptures. Quelque chose paraît même, je dirais, frétiller. Comme si la lumière insufflait vie et être à ces végétaux qui en sont pourtant déjà tant remplis.
Les scènes de jour sont plus impressionnantes, tant par leur dimension que par leur complexité narrative. En effet, des personnages sont campés en ces lieux, sous les arbres qui sont encore et toujours présences centrales. Elles sont foisonnantes à plus d’un titre. Mais il y a autre chose dont on ne s’aperçoit qu’avec le temps. Certes, elles sont bucoliques et nous paraissent provenir de montages attendus. Mais elles ont aussi des antécédents marqués. S’il y a bien quelque chose du paradis perdu, bien évidemment, dans Adam et Ève, spécialement conçue pour cette exposition, on sent en plus que la construction s’inspire de la version qu’en a offerte Nicolas Poussin. Comme il peut sembler y avoir des références à Marc-Aurèle Fortin dans d’autres. La liseuse est de ces œuvres qui réfèrent à certaines scènes déjà vues. Comme Sur le chemin des bohémiens qui rappelle d’autres déjeuners sur l’herbe notoires. Toutes ces dernières images font partie de la série dite Au jardin des possibles. L’intitulé est savoureux quand on se rend compte de tout ce qu’il a bien pu falloir de versions différentes, prises dans l’intervalle d’une période d’une heure et plus parfois, pour en arriver à ces résultats. Car toutes ces images ont exigé de nombreuses prises de vue différentes, dont le nombre peut aller jusqu’à 400 et plus. Les prises sont ensuite surimprimées les unes sur les autres et suturées jusqu’à former la composition que nous avons sous les yeux, aux murs du Centre Expression.
Cela explique sans doute le sentiment de plus-que-réel que nous éprouvons devant les œuvres. Un plus-que-réel qui constitue un supplément de réalité par le fait de cette surenchère de poses différentes. Il en résulte une étrange impression d’irréalité, d’idéalité paradoxalement vaguement mensongère. C’est que c’est trop : trop de vibrance chromatique, trop de lumière, trop de détails. C’est simplement, je dirais, trop bien modelé et façonné pour être honnête !
Il en va un peu comme si les arbres, dans les prises de nuit comme de jour, en venaient à être trop bien taillés par la lumière, trop sculptés, de tous bords, tous côtés, par ce qui les détaille avec trop de minutie. De même, comme certaines images sont le fruit de plusieurs prises de vue, effectuées pendant une période assez longue, il en découle que les ombres des sujets et des branches vont légèrement à contre-vue de ce qu’on pourrait attendre d’une prise unique et singulière, réalisée en une seule fois. Cela trouble quelque peu, sans que l’on sache d’où peut provenir ce sentiment. Mais il résulte d’une sorte d’excès de lumière ; non pas qu’il y en ait trop, mais plutôt qu’elle soit de provenances diverses, tournant autour du sujet et le révélant dans ses multiples états, tel que cette lumière en vient à le faire exister.
Sylvain Campeau collabore à de nombreuses revues canadiennes et européennes. Il est aussi l’auteur des essais Chambre obscure : photographie et installation, Chantiers de l’image et Imago Lexis, de même que de cinq recueils de poésie. En tant que commissaire, il a également à son actif une trentaine d’expositions.