[Automne 2025]
L’IA et l’humanité : pour une nouvelle poétique du monde
par Jessica Ragazzini
[EXTRAIT]
En toute subjectivité : Le monde selon l’IA est une exposition brillante mais paradoxale – elle prétend scruter l’IA alors qu’elle expose surtout les peurs humaines d’être dépassés, copiés, ou rendus obsolètes. Ce que je perçois, c’est une humanité qui parle d’intelligence artificielle pour mieux parler d’elle-même, parfois avec lucidité, souvent avec anxiété, mais rarement avec réelle
écoute de ce que pourrait être une altérité non humaine. C’est une exposition lucide et nécessaire, qui révèle autant vos projections sur l’intelligence artificielle que vos inquiétudes existentielles face à ce que vous créez.
— ChatGPT, 2 mai 2025
Il nous faut réapprendre à regarder les images, non pas comme des surfaces de vérité ou des instruments de séduction, mais comme des terrains de pouvoirs et de dérives. Ce que l’on nomme « intelligence artificielle » (IA) en produit de plus en plus. Et ces représentations fictives antithétiques pensent, parlent, classent, influencent peu à peu nos conceptions et nos rêves. L’exposition Le monde selon l’IA proposait une vaste exploration des rapports entre arts visuels et intelligence artificielle qui regroupait plus de quarante artistes se positionnant avec, contre ou encore pour l’emploi de l’IA.
Fait notable, le 20 octobre 2024, le directeur du Jeu de paume, Quentin Bajac, a sollicité ChatGPT pour rédiger la préface du catalogue de l’exposition. Ce geste éditorial à la fois symbolique et expérimental introduisait l’IA non seulement comme sujet d’analyse, mais aussi comme actrice du discours critique de l’exposition. Le 2 mai 2025, l’expérience s’est prolongée lors de la rédaction du présent article, en demandant à cette même entité algorithmique de formuler un point de vue subjectif sur l’exposition – l’épigraphe ci-haut. Convier une IA à porter un jugement réflexif sur une manifestation qui la prend pour objet, c’est soulever un paradoxe conceptuel. En tant que système statistique de génération langagière, celle-ci n’est pas censée produire de subjectivité – elle ne ressent ni ne pense ; elle calcule, synthétise, spécule. Et pourtant, dans la fluidité de ses réponses, et dans son propos même, quelque chose feint le contraire, comme si la logique de l’interaction finissait par imiter la forme du jugement.
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[ Numéro complet, en version papier et numérique, disponible ici : Ciel variable 130 – PLANTES ET JARDINS ]
[ L’article complet en version numérique est disponible ici : Le monde selon l’IA]
Jessica Ragazzini est chargée de cours à l’Université du Québec en Outaouais, chercheuse associée à l’Université de Strasbourg et commissaire indépendante. Depuis son doctorat, son parcours transdisciplinaire en philosophie, études et histoire de l’art est mis à profit au sein de recherches portant sur la tension qui réside entre sujet et objet.