Éditorial

[Hiver 1998-1999]

par Franck Michel

Dernièrement avait lieu en France, la deuxième édition du Salon Paris-Photo. Présenté parallèlement au Mois de la Photo à Paris, cet événement regroupait plus de 80 galeries provenant du monde entier et plus particulièrement d’Europe et d’Amérique du Nord.

Orientées principalement vers la vente, les galeries avaient établi une sélection d’œuvres historiques et contemporaines en vue de séduire des acheteurs potentiels. Ainsi, mis à part quelques galeries françaises plus audacieuses telles que Le Réverbère 2 (Lyon) ou Les Filles du Calvaire (Paris), les œuvres présentées étaient-elles dans l’ensemble assez conventionnelles et prévisibles. Cependant, de par son envergure, ce salon donnait à voir ce qui constitue le «main­stream» de la photographie contemporaine les Araki, Couturier, Goldin, Orozco, Serrano, Struth et autres bonzes consacrés par le marché de l’art.

Personnellement, je n’allais pas là en tant que collectionneur mais pour faire d’éventuelles découvertes et prendre le pouls de la «planète photo». À la sortie de cette orgie d’images (quelques milliers), je réalisais à quel point nous étions, au Québec, à l’écart de ce qui constitue le haut de la scène de la photographie contemporaine internationale. Quand avons-nous eu l’occasion de voir à Montréal des œuvres de Thomas Struth ou Nan Goldin ? De mémoire, jamais. Autrement dit, pour quelqu’un qui n’a pas la chance de voyager, ne lit pas Art Press tous les mois et ne consulte pas régulièrement les catalogues européens d’expositions, sa connaissance de la photographie contemporaine se limite, à quelques exceptions près, à la production locale, au demeurant fort dynamique.

Bien sûr, il y a le Mois de la Photo à Montréal qui une fois tous les deux ans nous offre une vaste sélection de ce qui se fait en photographie ici et ailleurs. Mais cela reste éphémère et ponctuel. En dehors de cet événement, rarement galeries, centres d’exposition ou musées nous permettent de voir ces artistes dont la démarche est essentielle pour comprendre les enjeux de la photographie contemporaine. Pourtant, au Québec, plusieurs personnes font un travail remarquable en ce sens, particulièrement dans les centres d’artistes, mais les moyens manquent de façon criante. Au Musée d’art contemporain de Montréal qui possède les capacités pour importer les «stars» de ce monde, c’est la volonté qui semble faire défaut. Au cours de ces dernières années, le seul photographe étranger à avoir obtenu sa faveur fut Andreas Serrano. Quant aux expositions de groupe c’est le vide total. À croire que le Musée d’art contemporain de Montréal n’a pas encore réalisé que l’art contemporain en cette fin de siècle passe avant tout par la photographie.

Loin de moi l’idée que Montréal devrait rivaliser avec Paris et sa douzaine de galeries, ses deux centres d’expositions et son musée, consacrés exclusivement à la photographie : nous n’avons ni le même bassin de population, ni la même tradition photographique, ni la même volonté politique. Nous ne possédons pas non plus de marché équivalent. Nous ne possédons d’ailleurs, comme nous l’avons récemment expliqué en ces pages, pour ainsi dire pas de marché. Ce qui n’aide guère notre cause, il va sans dire.

Soit, il faut accepter que, quoi que l’on fasse, le Québec demeurera toujours périphérique. Cependant, je crois que, d’une part, Montréal pourrait se doter d’un lieu favorable à ce type d’expositions et que, d’autre part, il serait grand temps que le Musée d’art contemporain de Montréal décloisonne sa programmation et s’ouvre sur le monde. Au cours des années 90, le Québec a su faire reconnaître sa production photographique sur la scène internationale de l’art contemporain et s’y faire une place enviable. Reste maintenant à donner aux autres la possibilité de venir plus fréquemment à nous.