[Automne 1990]
par Hélène Monette
Je travaille à m’embaucher dans des soirées de poésie qui n’ont pas lieu. On m’invite à la désintégration du futur sans que j’y sois initiée. Le présent, on le met en boite, on le met en vente, on se le met où vous pensez. Je travaille mur à mur.
On m’invite aux ordures comme aux obsèques de la parole. On m’invite à ne rien dire. Je travaille comme une folle.
Je travaille à restaurer mentalement le bout du monde. Je travaille au pic et à la pelle. Je travaille rarement assise, je fonctionne mieux endormie.
Je travaille à me les casser et je me les casse. Je travaille sur une base temporaire, toujours provisoire. Je ne travaille pas d’arrache-pied.
Je travaille mal.
Je travaille à te dire que je suis incapable de te dire convenablement tout ce qui est inconvenant chez toi. Je travaille dur.
Je travaille à encaisser, mais la caisse est vide, les recettes sont des déboursés, la cigale va crier famine chez le voisin, son conjoint, mais il n’est pas parlable.
Je travaille pour rien.
Quand je travaille, ça me donne mal aux mains, au ventre, aux pieds et à la tête. Quand je travaille, je travaille. Ça ne m’embête pas. Je travaille toute la journée. Je travaille, je travaille, ça ne m’ennuie pas de travailler. Là n’est pas la question.
L’énergie, les nerfs, le cran, la fougue et le don de soi sont des denrées épuisables, sans garantie. C’est cheap à mort de miser tout dans son travail. On se tue à l’ouvrage.
Je travaille à m’emmerder et tout me réussit, je m’emmerde vraiment. Je suis née pour un petit pain doré alors autant le manger chaud. S’il me reste 35 cents demain, j’en emprunterai 40 pour m’acheter un café.
Je prends congé. Demain je prends congé. Je n’irai pas travailler. J’enverrai ma doublure faire tout ce que je n’ai jamais le temps de faire. Elle reviendra me porter ma paye et un sac de croissants. Je resterai allongée sur des coussins à me morfondre.
Demain, j’irai travailler. J’irai me dépenser un peu. Faire 18 coups de téléphone et 630 photocopies. Taper deux lettres et sauter l’heure du dîner. J’irai faire preuve de mon courage et de mes faiblesses. Je travaillerai trop et ce n’est pas la peine.
Si vous saviez combien je gagne par semaine…
H.M.