[Printemps 2002]
Axe Néo-7 art contemporain, Hull, 2002
89 p. (41 ill. n. et b.)
À quoi tient donc cette sorte de fascination qu’exercent sur nous les images qui composent ce livre ? À quoi peut-on s’en remettre pour tenter de rationaliser cet engouement acharné dont l’artiste fit l’expérience dès qu’elle fut exposée aux résultats des recherches sur les champs magnétiques et ondulatoires ? Avec Corps de lumière, vous ferez aussi très probablement l’expérience de cet émerveillement. Car les images réalisées en électrophotographie par l’artiste semblent confirmer et valider plusieurs des mythes entourant la photographie depuis son invention.
Toute cette entreprise prend sa source dans une découverte scientifique assez peu connue : celle de l’effet Kirlian. En soumettant un objet à l’action d’un appareil calibré pour produire un champ électromagnétique, il naît une sorte de halo luminescent qui entoure cet objet et en révèle les contours. Dans la photo qui en résulte, l’objet montre dès lors que de sa masse naît une couronne, une vibration qui varie selon l’état de cet objet et selon les manipulations auxquelles il a été soumis. Si l’objet est inerte, ces variations seront nulles et le halo coronal sera constant. Par contre, si l’objet est vivant, tel un organisme végétal, alors cette irradiation évoluera au hasard des altérations qu’on lui fera subir. Bien plus, lorsqu’il est ainsi modifié et que sa couronne a quelque peu perdu de son éclat, il suffit d’une simple imposition des mains pour restaurer sa luminescence atténuée par des déchirures ou des coupures. Mieux encore, la seule intervention de la pensée lui vaut de pouvoir à nouveau irradier.
Pour un photographe, l’occasion est certes idéale et l’expérience, captivante. L’idée, à la mode au siècle dernier, qui présume qu’en tout objet est latente la possibilité d’une photosensibilité, comme si la capacité de reproduire une image de soi était naturelle à toute matière, n’est certes pas très loin. Dans l’irradiation de l’objet se manifeste très certainement un certain état, variable, de la matière, se profilent sans doute certaines de ses « humeurs ». Ce champ virtuel est très probablement chargé d’une information qu’il est pour l’instant difficile d’interpréter. Ce « bioplasme », comme l’appellent certains chercheurs, cette émanation vibratoire, semble suggérer une sorte de densité électromagnétique, un fluide matériel ondulatoire qui formerait une espèce de continuum aux composantes inconnues, solidifiant en quelque sorte le vide qui intervient entre les choses et les êtres. L’espace, tel qu’il nous apparaît en cette lumière, ne pourrait plus jamais être dit « vide » mais serait chargé d’une tessiture de champs divers dont on ne sait encore rien mais que la photographie est en mesure de capter. Une telle conclusion nous ramène presque aux spectres et autres ectoplasmes dont on croyait que l’image photo pouvait saisir la présence. Marie-Jeanne Musiol va même un peu plus loin, en supposant que la photographie ne serait pas le simple enregistrement de cette énergie perceptible grâce à la photo Kirlian mais qu’elle serait elle-même, en quelque sorte, un conducteur de cette énergie. Elle obéirait ainsi à un ordre « de l`immédiat qui transmet réellement une information encodée dans des fréquences lumineuses, avec des effets directs » (Marie-Jeanne Musiol, catalogue, p. 12).
Un texte du professeur Konstantin Korotkov, physicien et mathématicien russe qui poursuit des recherches en relation avec cet effet énergétique, traite plus longuement des conséquences scientifiques de la découverte de cette manifestation. Pour ce faire, il quitte un peu la sphère des certitudes occidentales qui résume l’essentiel des phénomènes biologiques à des mécanismes physicochimiques pour s’aventurer dans le monde des médecines traditionnelles chinoise et indienne pour lesquelles l’énergie, sa distribution dans le corps, les résistances qu’elle rencontre fournissent des renseignements sur l’état de santé de l’organisme humain. Mieux encore, le développement physique et intellectuel de l’être humain ne pourrait selon lui se faire que grâce à une dynamique d’échanges énergétiques, alors que de l’environnement lui arrive une information encodée existant sous une forme énergétique également. Tout en faisant un tour d’horizon de diverses théories tournant toutes autour de notions de champs biologiques et de résonances énergétiques, il s’engage dans des avenues multiples à l’issue desquelles il conclut que la biophysique a évolué, délaissant la compréhension des objets biologiques perçus comme des structures solides et stables au profit de la perception de leur nature comme champs spatiaux dynamiques. Tout objet biologique serait ainsi associé à un ensemble de champs qui régiraient des échanges d’informations grâce à une forme d’interactivité énergétique constante avec l’environnement.
À l’issue de cette incursion scientifique aux conclusions étonnantes, on ne m’en voudra certes pas de revenir sur les images qui composent le livre de Marie-Jeanne Musiol et qui sont encore le plus bel exemple de ce que cet effet Kirlian peut accomplir. Cette présence vibratoire ne nous étonnera guère. Nous l’avions préfigurée, nous, les amants de la photographie, fascinés comme aux premiers jours de l’image photo devant la présence transmise des choses et des êtres. Nous sommes, devant ces illustrations, aussi déférents sans doute que l’ont été les premiers témoins des cyanotypes de Henry Fox Talbot, soigneusement gardés à l’abri de la lumière naturelle, pénétrant dans ce monde de l’image comme dans une crypte sacrée.