[Hiver 2000-2001]
par Sylvain Campeau
Éditions Dazibao, Collection les essais
Montréal, 2000, 206 p. (français/anglais)
Fiction ou d’autres histoires de la photographie couvre un large spectre de préoccupations, grâce à des contributions dont la complémentarité semble toutefois discutable. Stephen Horne, Emmanuel Hermange, Saul Anton, Akira Mizuta Lippit (avec une interview de Trinh T. Minh-ha), Olivier Asselin et Colette Tougas prêtent leur plume à cette entreprise hasardeuse qui en vient à traiter cinéma et photographie de concert. Hasardeuse, la tentative l’est certainement et le fait de recourir à la fiction critique ou à la fausse entrevue n’est pas sans rendre la chose carrément périlleuse. J’en tiens pour preuve la dérive endiablée de Stephen Horne qui nous livre dans son texte une kyrielle parfois allusive de références dont il faut connaître la provenance pour apprécier pleinement ces propos hautement personnels. J’avoue que, faute d’épouser étroitement la culture de l’auteur, je suis resté un peu en rade, éberlué par une plume qui ébauche ses allusions et livre ses exemples sans développer plus avant, supposant chez tout lecteur une connaissance égale à la sienne.
On conviendra tout de même que le sujet est ardu et qu’on pouvait difficilement espérer le circonscrire sans risque. Reste que certains tiennent mieux que d’autres le pari de leur approche. Colette Tougas, quant à elle, relève cette gageure. La (toujours espérée, toujours reportée) entrevue avec Chantal Akerman s’inverse pour devenir un ensemble de considérations justes et efficaces, avec assez de désinvolture et de considération sensible pour ressembler au dialogue un rien empressé de l’interview usuelle. Plutôt que de déboucher sur des questions, chaque thème s’achève par une interrogation qui ouvre des voies nouvelles où la cinéaste n’aurait peut-être pas su s’engager, doutes sur lesquels l’échange se serait sans doute clos.
Passé ces deux tentatives d’approche critique moins conventionnelle, et outre une interview (déjà publiée à Tokyo) d’une Trinh T. Minh-ha qui est approchée avec une empathie emphatique, la suite de l’ouvrage contient des textes à la facture moins osée. Ceux de Saul Anton, d’Emmanuel Hermange et d’Olivier Asselin suggèrent tous certaines pistes qui cependant restent de simples ébauches et nous laissent sur notre faim. Leur grand mérite est toutefois d’attirer l’attention sur des œuvres ou bien peu connues ou bien un peu oubliées. Les considérations d’Asselin sur le Zelig de Woody Allen, pour intéressantes qu’elles soient, se terminent sur un développement qui gagnerait à être approfondi. Il en va un peu de même pour Emmanuel Hermange qui aurait pu pousser davantage les rapports qu’entretiennent photographie, littérature et Savoir au sein des travaux de Joan Fontcuberta, d’Alain Bublex et de John Stathatos. On sent bien ici qu’il aurait fallu rester plus près de ces œuvres, que là résidait sans doute la réponse à certaines questions. Le texte de Saul Anton demeure pour moi celui qui, de ce livre, est à la fois le plus personnel et le plus inattendu. Il est aussi celui qui s’approche peut-être le plus de ce que l’on entend par une prose d’essai. En lui, savoir critique et vision personnelle se marient avec élégance pour nous convaincre de la pertinence des idées de son auteur.
Peut-être, somme toute, suis-je ici un rien sévère. Car il faut reconnaître la difficulté du sujet, l’impossibilité dans laquelle se trouve le théoricien d’étroitement délimiter le sens et la portée du concept de « fiction ». Le présent ouvrage, reconnaissons-le, invite à l’exploration de chemins sur lesquels il reste à s’engager.