[Printemps 1999]
Musée d’art de Joliette
Du 18 octobre 1998 au 10 janvier 1999
Depuis plus de vingt ans, Clara Gutsche persiste dans une photographie réaliste à visée sociale, sans jamais faillir à une vision personnelle et critique. Une photographie en marge des productions plus éclatées qui ont quasiment polarisé la scène actuelle. La série des couvents présentée au Musée d’art de Joliette ne dément pas cette position, bien au contraire.
L’exposition nous plonge au cœur d’un univers sibyllin et silencieux, celui d’une vingtaine de congrégations religieuses qui ont exceptionnellement accueilli la photographe dans leurs retraites. Moments privilégiés que dévoilent ces clichés, où nous circulons du jardin à la salle mortuaire en passant, entre autres, par la crypte, l’oratoire, la buanderie et la salle de couture.
Hormis la rectitude dans le mode de vie de ces communautés – ordre et propreté sont en effet exacerbés–, ce qui frappe surtout est leur souci de la mise en scène, souci que révèle ici une photographie attentive à la topographie des lieux. Une rectitude qui n’a rien à voir avec l’austérité, la redondance ou le flegme auxquels on pouvait s’attendre. C’est que Gutsche y superpose sa propre mise en scène (angle de vue, position des personnages, voire même le grand format inusité des photos) qui, en jouant un rôle de prolongement, permet une vision plus éclairée des sujets. L’artiste intercepte finement les antinomies, les fusionne, comme elle le fait avec le dit et le non-dit.
Ainsi en est-il des personnages qui font littéralement corps avec les intérieurs, du glissement du collectif à l’intime, des cadres physiques (fenêtres, écrans télé ou d’ordinateur) dans le cadre photographique. De fait, en s’infiltrant dans les salles, la lumière extérieure, quasi omniprésente, crée une contiguïté spatio-temporelle, une sorte d’osmose entre deux mondes jugés, a priori, éloignés. Quant à la couleur de certaines images, elle introduit une picturalité qui exalte les sujets et tranche avec l’ascétisme prévu. Et puis, il y a les regards des femmes que les mises en scène dirigent autant vers nous que hors champ, provoquant encore ici la rencontre paradoxale entre des états de proximité et de distance (certains visages plongent dans une pure transcendance), comme si ces groupes étaient à la fois liés et détachés du réel. Ce sont ces états simultanés de l’ici et de l’ailleurs qui fascinent. États que seul l’œil d’une caméra sensible peut parvenir à saisir.