[Hiver 2006-2007]
par Jacques Doyon
Il n’est pas étonnant que l’univers de la publicité soit devenu un objet d’investigation et d’appropriation esthétiques pour les artistes contemporains. La publicité occupe en effet une place importante dans la culture de nos sociétés. Omniprésente dans l’environnement urbain, elle inonde littéralement les médias où elle rivalise avec l’information, le divertissement et la culture. La publicité s’est développée de pair avec les réseaux de circulation, des personnes comme de l’information, et elle s’est imposée dans tous les lieux de haute fréquentation en se modulant sur tous les tons, du plus agressif au subliminal.
Longtemps centré sur la simple promotion d’un produit et d’une marque, le milieu publicitaire a récemment développé une véritable culture de la marque (branding), en lui associant des ensembles de valeurs, de modes de vie et d’attitudes promus comme autant de modèles culturels essentiellement définis par des enjeux de consommation. À l’ère du postcommunisme triomphant, où le citoyen est devenu un consommateur, l’instrumentalisation des valeurs et des modes de vie opérée par le branding représente un véritable défi à la culture humaniste. Se nourrissant toujours amplement de la culture et de la création artistique, le milieu publicitaire tente aujourd’hui de se les subordonner.
Désormais, le logo est plus que la simple image condensée d’une entreprise. Il balise un territoire. Le terrain de cette conquête n’est plus seulement celui des axes de circulation et des réseaux médiatiques, mais aussi celui de la culture, ce qu’illustre, peut-être le plus clairement, cette exigence si répandue d’apposer le nom d’une compagnie, ou d’un donateur, à celui d’un événement ou d’une institution artistique. Et cette logique du « marquage » contamine même aujourd’hui les institutions gouvernementales et les milieux d’enseignement.
La publicité repose sur une rhétorique de l’image et du discours que Doyon/Rivest et Mike Yuhasz s’approprient dans leurs travaux. Doyon/Rivest utilisent les procédés de l’image publicitaire pour promouvoir une « firme » et une marque qui ne renvoient à rien d’autre qu’à leur propre production artistique, laquelle fait des procédés publicitaires et des études de marché son objet d’investigation et de désignation. Ne se voulant ni critique, ni apologétique, leur pratique ne fait au fond que montrer, en les détournant, que les valeurs et les modes d’opération des entreprises sont aujourd’hui devenus partie intégrante et prédominante de la culture. Mike Yuhasz, quant à lui, utilise les moyens de la simulation. Le site web de sa compagnie fictive reproduit à s’y méprendre la rhétorique d’une société d’investissement en ressources naturelles. Il faut fouiller loin dans le site pour découvrir qu’il s’agit d’un projet artistique. Yuhasz pousse même sa simulation jusqu’à jouer le p.d.g. dans les foires commerciales, en tentant de séduire un public peut-être déjà un peu méfiant face à la rhétorique des grandes sociétés.
Les grandes entreprises d’affaires et de la publicité occupent aussi l’espace de façon stratégique et, ce faisant, ils le façonnent. C’est ce dont le travail topographique du photographe allemand Frank Breuer rend compte en montrant l’architecture des entrepôts de distribution et des structures d’affichage des logos des grandes compagnies. Une telle collecte d’artefacts du temps présent rend manifeste un état de choses que nous n’observons plus que distraitement, soit la prégnance d’une architecture purement fonctionnelle qui façonne notre environnement en fonction d’enjeux qui ne relèvent aucunement de la culture au sens où nous l’entendons couramment, tout en en constituant un vecteur fort. Le logo a prétention de logos.