Ce numéro de Ciel variable présente un dossier spécial de quelque cinquante pages traitant de l’appropriation par les arts visuels des questions relatives aux enjeux de la preuve médico-légale. Dirigé par Vincent Lavoie, professeur d’histoire de l’art et de photographie à l’UQAM, ce numéro s’inscrit à la suite de précédents dossiers faisant le point sur des enjeux liés à des études photographiques s’inscrivant au cœur de l’actualité de l’art contemporain. Pour mémoire, citons les dossiers : Still Moving/Mouvement fixe (CV67), dirigé par Cheryl Simon, professeur de cinéma à l’Université Concordia et au collège Dawson, Art public (CV82), sous la direction éditoriale de la revue, et Documents de performance (CV86), sous la direction d’Anne Bénichou, professeur d’histoire de l’art au département d’arts visuels et médiatiques de l’UQAM. D’autres dossiers similaires sont en préparation, dont un sur Photographie et Internet, qui sera dirigé par Suzanne Paquet, professeur d’histoire de l’art et de photographie à l’Université de Montréal. Ce numéro paraîtra à l’automne 2013.
L’univers médico-légal est omniprésent dans les séries télévisuelles, avec les différentes variantes du CSI (Crime Scene Investigation) dont on nous abreuve. Cet univers a de même été intégré dans de nombreux domaines de la recherche scientifique et de la production culturelle. Les arts visuels ne sont pas en reste, comme en atteste ce dossier qui réunit six auteurs analysant les enjeux de l’importation d’un paradigme de la preuve légale et scientifique dans le champ de l’art et retraçant des manifestations contemporaines. Sans surprise, les sujets de ces œuvres s’ancrent dans des cas juridiques et éthiques, et s’attachent au statut des documents servant de preuves, tout en empruntant des détours parfois surprenants : confrontation des images et des témoignages oraux dans les traitements des prisonniers à la prison d’Abu Ghraib (Errol Morris), recaptation des détails de maquettes, aux allures de maison de poupées, reconstituant des scènes de crime (Corinne May Botz), décontextualisation des archives judiciaires (Emmanuelle Léonard), recréation performative des échantillons d’ADN dans le cadre du procès d’O.J. Simpson (Paul Vanouse), scènes filmées par la police témoignant d’activités sexuelles dans des toilettes publiques (William E. Jones), comptes rendus d’erreurs judiciaires (Taryn Simon)… jusqu’à une analyse météorologique de tableaux célèbres de Tom Thomson, du Groupe des Sept (Phil Chadwick).
La forensique, ce néologisme emprunté à l’anglais, ramène donc à l’avant-plan de la culture contemporaine les enjeux probatoires et éthiques sous-jacents au statut des images et des échantillons scientifiques dans le cadre des décisions judiciaires et légales et reconvoque l’analyse de leurs limites de de leur pertinence.
À noter aussi dans ce numéro, l’excellente entrevue de l’artiste catalan et théoricien de la photographie, Joan Fontcuberta – entretien réalisé par Alexis Desgagnés – qui prend des allures de manifeste sur le devenir de la photographie à l’ère du numérique et des médias sociaux. Ce texte, qui traite de questions fondamentales quant au statut de l’image photographique et de la propriété intellectuelle, propose des prises de position radicales qui s’inscrivent à la suite de l’énoncé programmatique produit pour l’exposition From Here On, conjointement avec quatre autres commissaires, dans le cadre des Rencontres de la photographie d’Arles en 2011, et en éclairent les présupposés.
Jacques Doyon