[Hiver 2011]
Les œuvres présentées dans ce numéro se caractérisent par l’accumulation d’un nombre important d’images et un travail en série parfois systématique, parfois intuitif et fragmentaire. On repère ainsi dans certaines d’entre elles un mode itératif qui opère soit dans le dispositif formel, soit dans l’objet d’investigation ou dans un motif. Mais ces œuvres comportent toutes une dimension narrative qui met autant l’accent sur le dispositif que sur le récit proprement dit. D’où son incomplétude, sa fragmentation, son caractère ludique; d’où sa nature plus virtuelle que réellement actualisée.
Les prises de vue de chambres noires de Michel Campeau relèvent d’une sorte d’enquête systématique sur un ordre de réalité en voie de disparition. Pourtant, la démarche ne se veut ni neutre ni objective. Pour qualifier l’esthétique de sa série, Campeau évoque plutôt le constat d’un expert en sinistres. Les éclairages froids et directs tout comme les cadrages serrés permettent de montrer les traces d’usure et le bricolage des installations, rendant ainsi tangibles l’usage des lieux et leur obsolescence. De la sorte, et sans nous raconter le détail de vies individuelles, ces images retracent en quelque sorte la petite histoire de la photographie, en évoquant le vécu et l’ingéniosité de ses artisans.
Les Histoires d’Alain Pratte se présentent comme des récits en suspens, comme des arrêts sur image d’un scénario où ne seraient donnés que quelques-uns des plans de la narration. En ce sens, ses images sont des dispositifs narratifs qui appellent à une projection dans le récit. Faites de petits moments, de détails et d’ambiances, comme saisies au hasard d’une déambulation dans la ville, ses photographies se proposent comme des récits intérieurs teintés d’une atmosphère distante et mélancolique. La facture même de ces images, qui regroupent dans une grille toujours identique plusieurs petites fenêtres autour d’une plus grande, renforce cette perception d’un regard qui esquisse des séquences narratives.
Attractions, de Yan Giguère, s’offre comme une constellation d’images de lieux urbains et de jardins, rythmée par la texture, le format et le rapprochement des images. Tout entière modulée par les forces d’attraction, la pièce prend la forme d’une fresque murale faite de condensations et d’enchaînements séquentiels, ponctuée d’un travail sériel sur le motif floral. La vision sous-jacente à cet univers très personnel se fonde sur une exploration systématique et émerveillée des modalités de perception et de traduction d’une multitude d’appareils photographiques, souvent désuets. Il en résulte une évocation intime et poétique d’un univers, une cartographie affective des lieux de vie de l’artiste.
Avec Before Photography, Chuck Samuels s’attache à une exploration de la transmission des valeurs et de la culture en se réappropriant des éléments du récit familial et de la culture cinématographique de son enfance. Combinant photographie et vidéo, Before Photography utilise à la fois la déconstruction narrative et le travail sériel pour ausculter, sur un mode ludique qui prend des allures faussement autobiographiques, la fabrication de son identité de photographe. En multipliant les jeux de rôle et en brouillant l’écoute des récits qu’il ne livre que par bribes, Chuck Samuels s’y dépeint en une sorte de Zelig de la photo pour mieux montrer la complexité et la dimension contextuelle du nœud identitaire.
Jacques Doyon