[Automne 2001]
Le Cairn, Centre d’art, et les Éditions Images en manœuvres
Digne et Marseille, 2000, 117 p.
Le Cairn, centre d’art est un lieu un peu spécial. Initiative lancée par le Musée départemental de Digne, le centre propose aux artistes de produire des œuvres au sein même de la Réserve géologique de Haute-Provence, en en sollicitant les composantes rurales, écologiques, sociales ou historiques. Le but de l’entreprise est de constituer un patrimoine contemporain et de lier création contemporaine et développement durable.
C’est dans ce site que Joan Fontcuberta a présenté, du 19 juillet au 24 septembre 2000, l’exposition Les sirènes de Digne. S’inspirant sans doute d’un scandale récent à propos d’un fossile, l’archaeoraptor liaoningensis, forgé par des paysans chinois et représentant une sorte de chaînon manquant entre le dinosaure et l’oiseau, découverte célébrée par la National Geographic Society, il a façonné, à même certaines formations rocheuses du pays de Digne, blocs écroulés dont aurait émergé un fossile, trois spécimens d’homme-poisson désignés sous le terme d’hydropithecus. Ces spécimens ont ainsi été durablement incrustés dans la pierre et protégés contre les détériorations du temps, des éléments naturels et des hommes.
La première partie du catalogue est de plus consacrée à la correspondance qu’échangèrent le découvreur de ces spécimens, Jean Fontana, séminariste et directeur du Cabinet de Physique et d’Histoire naturelle du Petit Séminaire de Digne, et son illustre maître à penser Albert Félix de Lapparent, éminent géologue, titulaire de la Chaire de Géologie de l’Institut Catholique en remplacement du père Teilhard de Chardin, brusquement envoyé en Chine par ses supérieurs, à cause de ses positions scientifiques peu orthodoxes. Cette correspondance relate assez précisément la suite des événements, depuis la découverte des spécimens de l’hydropithecus. Elle illustre bien aussi le tour inquiétant (du moins, aux yeux des autorités religieuses) que prennent les conclusions progressives de Fontana, sourd aux exhortations de Lapparent à plus de retenue scientifique et à suspendre pour un temps son désir de soumettre un mémoire sur ce cas. Dans ses réserves et mises en garde, le père Lapparent évoque même le cas des ossements manipulés de l’homme de Piltdown, chaînon manquant authentifiant les théories de Darwin, « découvert » dans le Sussex en 1911, supercherie dont il soupçonne Teilhard de Chardin d’être l’auteur. La correspondance s’achève avec la déconfiture du frère Fontana à qui les autorités religieuses ordonnent de mettre fin à ses recherches.
À cette correspondance s’ajoutent évidemment des images du frère Fontana, prises au Petit Séminaire et lors des travaux de recherche sur le terrain, des croquis de l’hydropithecus. Suit un reportage essentiellement photographique du National Geologic, réalisé à Digne après que la Réserve géologique de Haute-Provence se soit enfin décidée à exhumer ces spécimens et à les exposer à la vue du public.
On reconnaît ici la manière propre à Joan Fontcuberta qui consiste à construire un édifice fictionnel à l’aide de la photographie authentifiant le tout, ensemble agrémenté de références à des faits ou personnages réels (l’homme de Piltdown, le père de Chardin) ou d’une toile de fond véridique (l’archaeoraptor liaoningensis) pour lester d’encore plus de crédibilité une élucubration savamment élaborée. Ne reste qu’à créer un frère aux traits étrangement semblables à ceux de l’artiste et le tour est joué.
Le catalogue, toutefois, ne s’en tient pas à cette seule production. Il contient aussi des textes d’autres auteurs qui complètent – et assez tendancieusement mais avec moins de bonheur que le regretté père Alberch pour Fauna secreta – de leurs réflexions sur les sirènes ou sur la « chimérisation » la supercherie de l’artiste. Un répertoire des autres « forgeries » de l’artiste suit. S’y trouvent des images et des textes provenant des projets antérieurs Herbarium, Fauna, Safari, Retseh-cor, Constellations, Spoutnik, Aérolithes et L’Artiste et la photographie.