Robin Collyer, The McCain Family Commission – Catherine Grout, Paysages

[Printemps 2001]

Avec subtilité, une série de dix photographies faites par Robin Collyer répond à une commande privée pour la mémoire d’un disparu. Ces vues montrent divers paysages du Nouveau Brunswick qui renvoient autant à des archétypes qu’à une réalité quotidienne plus ou moins commune à ceux qui vivent dans cette région.


par Catherine Grout

I was commissioned by the McCain family to create a series of photos, as a remembrance of their brother Peter, who was killed in an accident.It was quite scary to take on this project. The idea of creating a series about a person that I did not know was difficult. I decided to make a couple of trips to Florenceville in different seasons. I had no preconceptions of what I would do. I did know that Peter enjoyed the country and in particular he enjoyed fishing and spending time in the bush. I responded immediately, and directly to the landscape. I was a visitor. I did not try to find the exact places that he used to go to, or the places where he went fishing, etc. This is a small place so I do have photos that are taken close to his home and on his property.
⎯ Robin Collyer, extraits d’une lettre à l’auteur, mai 2001

En souvenir d’un frère disparu, la famille McCain a passé commande à Robin Collyer d’une série de photographies.

Plutôt que de représenter les affaires personnelles du disparu, son intérieur (privé et public), Robin Collyer a photographié le site. Et ceci, d’après ses propres mots, est venu du paysage lui-même.

Ce n’est sans doute pas par pur hasard si cette série concerne le paysage. Plutôt que d’y voir la pérennité d’un mode de représentation appartenant à l’histoire de l’art le paysage a souvent été associé à un portrait en étant une représentation symbolique parallèle renvoyant au personnage, à son nom, à sa position sociale ou à sa spiritualité, le lien est de l’ordre de l’empathie, tout en étant fortement symbolique.

En découvrant les dix images qui composent cette série de 1997, qu’allons-nous ressentir à notre tour ? Les paysages (principalement bois et rivière) ne semblent pas exceptionnels ni particulièrement pittoresques. Deux images introduisent une lecture plus particulière en faisant référence à la famille et à sa réussite sociale : nous voyons la façade des bureaux de l’entreprise familiale avec le nom presque centré dans l’image « McCain Produce Co. Limited » (Storefront), ou bien un champ de pommes de terre (Field). La famille McCain a toujours vécu là, son histoire est liée à l’agriculture et à l’industrie. Entre l’exploitation et les loisirs, les paysages renvoient à ceux qui y vivent, car ceux-ci les façonnent, les entretiennent et, ce faisant, perpétuent des gestes qu’ils transmettent1.

Le paysage rural typique du Nouveau-Brunswick est, quant à lui, pleinement visible et appréciable avec View. On y voit des fermes, des champs, des bois, des montagnes boisées, la rivière Saint-Jean, le tout formant une agréable composition faite de lignes souples et ondulantes de différents verts. Au premier plan sur la droite, un petit conifère est isolé, planté sur une pente descendante en gazon bien tondu. Sa présence surprend le regard, introduit un autre registre dans le visible. Son apparence est due à un moment particulier de lumière (des nuages ponctuent le ciel et rythment les surfaces par leur ombre) qui le détache, lui conférant un sens appelant, comme allant de soi, son association avec une personne qui se tiendrait là dans une position de contemplation du paysage s’étendant par-delà2

Dans cette série, nous pouvons apprécier plusieurs sortes de paysage. Des vues d’un paysage commun au défunt, à ceux qui l’ont connu, comme à ceux qui vivent dans cette région, ainsi que des vues de paysages fabriqués (rappelant des modes de construction, des schémas structurels, remarquables en particulier avec le dessin de la façade photographiée de manière frontale et la régularité de plantation du champ qui semble se poursuivre à l’infini). Ces deux sortes de paysage sont d’une certaine manière des archétypes appartenant à une culture nord-américaine et surtout canadienne. À ceux-ci s’ajoute le paysage ressenti, celui de la fraîcheur de l’eau courante, de l’ombre des cèdres lorsque le chemin tourne. Celui-ci est un événement touchant notre corps et sa mémoire allant au-delà de notre durée biologique.

View se distingue dans cette série par l’étrangeté d’une situation lumineuse3qui joue sur le sens des apparences. Cette photographie est peut-être celle qui est la plus près d’un portrait en tant que présence du disparu. À partir d’elle, nous allons voir différemment les autres images. Ainsi d’autres événements lumineux ont pu être un des éléments auxquels Robin Collyer aurait répondu (par exemple la clarté fragile des feuilles d’automne dans Road), mais aussi d’autres associations, comme avec Campsite, où la souche d’un arbre, siège potentiel, est juste à côté d’un conifère similaire à celui de View.

Nous pouvons déduire de cette série qu’il n’y a pas un paysage ni une attitude unique et unitaire face à lui (une seule manière de voir), mais des paysages multiples qui communiquent les uns avec les autres lorsque nous conversons avec eux.

1 Pour le lien entre culture et agriculture, je renvoie à l’analyse de Hannah Arendt : “Culture, word and concept, is Roman in origin. The word ‘culture’ derives from colere to cultivate, to dwell, to care, to tend and preserve – and it relates primarily to the intercourse of man with nature in the sense of cultivating and tending nature until it becomes fit for human habitation. As such, it indicates an attitude of loving care.” Hannah Arendt in Between Past and Future, Eight Exercises in Political Thought, Penguin Publisher, p. 211-212. Les gestes transmis seraient ici ceux de l’agriculture, mais aussi ceux des chalets dans la forêt qui réunissaient le père disparu avec ses deux fils.

2 Ce conifère n’a pas poussé tout seul ; d’évidence, il a été choisi et planté par quelqu’un. La prise de vue a été faite à quelques pas du seuil de la maison. “View was taken from in front of Peter’s house. That is the view he would see. It is the St. John River at the bottom of the photo, and in the distance is the Trans Canada Highway (#2). The bush and streams were approximately two or three kilometres east of the River” (Collyer).

3 Événement photographique par excellence qui aurait pu être le « quelque chose » qui suscite ces prises de vue. Je me permets de renvoyer à ce sujet à mon texte intitulé « Quelque chose », paru dans Robin Collyer, photographs, Art Gallery of York University, Toronto, 2000, p. 37-43.

Catherine Grout est docteur en histoire de l’art et en esthétique. Membre fondateur du groupe de recherche franco-japonais sur le paysage dans l’espace urbain à l’Université de Tokyo (1996), commissaire de la Biennale internationale d’Enghien-les-Bains depuis 1994 et d’une manifestation à Taipei (Taïwan) en 2002, « Le paysage du fleuve », elle a publié des textes sur l’art contemporain, en relation avec les jardins et les paysages, et fait paraître Pour une réalité publique de l’art(Éditions L’Harmattan, 2000).