[30 novembre 2021]
Par Louis Perreault
Deux cercles dorés se recoupent, tel un diagramme de Venn, sur la couverture souple du livre Les autres imaginaires1 d’Hubert Gaudreau. La théorie des ensembles que nous propose l’artiste est bel et bien constituée d’éléments interconnectés. Du moins, pour autant que nous soyons prêts à entrer dans ces autres imaginaires dans l’espoir d’y faire naitre des groupes d’appartenance, connectant ici la lumière d’un paysage à celle d’une vue intérieure, et là, la texture d’un tissu à la légèreté d’une première neige au sol. Ainsi, ce qui apparait parcellaire et fragmenté s’agence et se regroupe au cours de la lecture.
La proposition de l’artiste ne se construit pas autour d’un sujet défini ni d’une narration linéaire. Plutôt, Hubert Gaudreau construit un décor visuel à partir d’une foule de détails glanés ici et là dans le flot du temps qui s’écoule au quotidien. Le tableau qui en résulte est à la fois concret et évanescent, en ce sens que les photographies agissent comme des preuves empiriques du vécu tout autant qu’elles cherchent à exprimer une expérience qui est de l’ordre de l’intangible et du senti. L’artiste se promène autant dans la ville et la nature que dans les espaces privés qu’il habite, tantôt intéressé par une envolée d’oiseaux sur fond de ciel bleu, tantôt tourné vers la plante d’intérieure coincée contre la vitre d’un commerce, tantôt dirigé vers un plan d’eau gelé en hiver. Ce qui unira finalement ces sujets épars réside dans l’écriture poétique de l’artiste, laquelle invite le lecteur à reconnaître dans ces interstices une matière discrète qui occupe néanmoins une place importante dans nos expériences multiples du monde.
Dans le livre, les images placées côte à côte sur la double-page, la superposition de photographies et le changement occasionnel de l’orientation de la lecture provoquent un engagement soutenu envers l’objet, requérant une manipulation parfois inhabituelle et commandant une lecture active. Tout comme dans ces diagrammes de Venn qui regroupent des éléments divers, les points d’intersection dépendent des variables qu’on attribue aux ensembles. Ces variables, dans l’œuvre de Gaudreau, sont volontairement ouvertes à la sensibilité de chacun.
Au final, Les autres imaginaires est un livre-poème qui offre une expérience de lecture intime et immersive. Lorsque les images ne sont pas présentées en fond perdu, des arrière-plans de couleurs faiblement saturés prennent le relais pour y asseoir les images aux teintes similaires. Ainsi, de couvert à couvert, le seul égarement possible est celui où nous sommes invités à nous abandonner dans l’expérience esthétique et méditative de l’œuvre. De très courts poèmes, signés Gentiane La France, ponctuent et complémentent la séquence d’images et agissent comme une sorte de déclaration d’intention : « Explorer les petits drames ordinaires / Qui s’infiltrent entre les images. / Petits drames imaginaires; / Là où gicle le sang, / Là où souffle le vent. / Dans l’avant, dans l’après, / Dans l’ailleurs. »
Louis Perreault vit et travaille à Montréal. Il déploie sa pratique à l’intérieur de ses projets photographiques personnels ainsi que dans les projets d’édition auxquels il collabore grâce aux Éditions du Renard, qu’il a fondées en 2012. Il enseigne la photographie au Cégep André-Laurendeau et contribue régulièrement au magazine Ciel variable, pour lequel il recense la parution de livres photographiques.