Lynne Marsh, Stage Backstage – Sylvain Campeau

[Printemps/été 2012]


Lynne Marsh
Stage Backstage

Galerie Donald Browne, Montréal
Du 8 octobre au 5 novembre 2011

Avec Stage Backstage, Lynne Marsh présente des images-photos qui ont été réalisées en parallèle avec deux de ses projets récents à caractère filmique, soit Plänterwäld et The Philharmonie Project, tournés respectivement dans un parc d’attraction, abandonné et une salle de concert. Il en résulte évidemment une impression de latence et d’abandon, comme si, en ces épreuves, quelque chose attendait éternellement de se manifester. Événements et personnages sont en coulisses, pris ailleurs, réunis dans un nœud narratif dont il ne sera pas fait état ici. Il faut savoir que Plänterwäld a été tourné dans un parc d’amusement de la République démocratique allemande (Rda), construit en 1969 et abandonné lors de la réunification des deux Allema­gnes. Lynne Marsh en tire, photographiquement parlant, les pièces Wheel, Cinema 2000 Tent et Folly River, datant toutes de 2011. Nous sommes ainsi dans une zone déjà grise, terrain en jachère, en attente d’une très peu probable remise en activité. Du parc, des gardes assurent la sécurité, gardant les passants éloignés de cet ersatz d’histoire. Cette scène vide, laissée à l’oubli, représente la mise entre parenthèses d’un épisode à biffer des livres d’histoire, moment où l’Allemagne fut, pour un temps, scindée en deux parties. Aussi, y a-t-il une certaine nostalgie qui sourd de ces images. Elle émane de ces appareils, rails et roues laissés en plan, de cette végétation qui cache de plus en plus les débris, de la vétusté de tout cela qui gît et périclite.

Du Philharmonie Project, ce sont quatre images qui ont été choisies. Chacune montre une scène désertée, une sorte d’à-côté événementiel, l’arrière-scène, ou mieux l’avant-toute scène. Le plafond saisi à contre-plongée compose certainement la plus déstabilisante des images. Les instruments de percussion délaissés sur la scène entourée de gradins vides, les étuis blancs des contrebasses dans une quelconque salle d’entreposage,  tout cela ne parvient pas à apaiser la curiosité de spectateurs désireux de voir quelque chose. Mais, en même, temps, n’assistons-nous pas à la présentation de l’écrin événementiel et spatial de ce que nous anticipons d’ordinaire comme scène ? N’avons-nous pas là les composantes de ce qui se veut scène, avant elle et après elle, autour d’elle et la cernant ? N’avons-nous pas là une approche de ce qui se voudra scène dans les œuvres filmiques dont ces images relèvent ou de ce qui l’a un jour réellement été, dans le cas du parc d’attractions ? Si c’était une certaine forme de frustration qui nous envahissait à la vue des coulisses désertées des Timpani on Stage et de Double Base Cases, on est plutôt en proie, devant la grande roue immobile et oubliée de Wheel envahie par la végétation triomphante, à des réminiscences mélancoliques en prove­nance d’une réserve mnésique collective.

De plus, on l’a dit, ces images photographiques sont elles-mêmes laissées en rade d’une œuvre concernant cette mise au rancart. Si on imagine difficilement la possible remise en fonction du parc, l’agitation des visiteurs, la fébrilité des enfants, l’entrée des musiciens, il est encore plus vain de tenter de remonter à ce que Lynne Marsh a bien pu faire de ce lieu pour créer une œuvre filmique. A-t-elle utilisé des acteurs ? Quels événements s’est-elle imaginé pouvoir y provoquer ? Nous n’en savons rien. Bref, nous avons là, devant nous, des photogrammes à la puissance deux. Nous avons là, dirait-on, des non-scènes. Toute scène, réelle, est le résultat d’une convergence entre des événements en cours, des personnages agissants et un cadre spatiotemporel opérant ; opérant en ce sens qu’il s’y passe quelque chose qui requiert une temporalité créée par une narration elle-même mise en fonction par des éléments supposant une reprise éventuelle, hors cadre, du cours normal des actions soumises à un temps dont la suspension, en l’image montrée, est présentée comme un simple aléa.

Or, ici, nous n’avons, de toutes ces composantes, qu’un cadre vide. Comme s’il s’agissait de montrer une scène hors de tous ses éléments perçus comme constituants nécessaires à la scénalité. En même temps, on tourne effectivement autour d’un théâtre, d’un lieu de représentation, d’un spectacle mais inactif, léthargique, en attente d’une impossible (le parc) ou prochaine (la salle de concert) réactivation. En bref, disons que Stage Backstage fait dans la scène amorphe, inerte, montrant le cadre d’une action différée dans l’image et par l’image. Chaque image est portrait de cette différence, scènes multiples des actions déportées, reportées, remises à plus tard, remisées dans les limbes de ce qui nous est montré.

Sylvain Campeau a collaboré à de nombreuses revues, tant canadiennes qu’européennes (Ciel variable, etc, Photovision et Papal Alpha). Il a aussi à son actif, en qualité de commissaire, une trentaine d’expositions présentées au Canada et à l’étranger. Il est également l’auteur de l’essai Chambre obscure : photographie et installation et de quatre recueils de poésie.

 
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