Nicolas Baier – Pierre Bertrand

[Hiver 2011]


Nicolas Baier
Galerie René Blouin, Montréal
Du 4 septembre au 9 octobre 2010

Nicolas Baier est un artiste des éléments : l’air, la terre, l’eau et le feu. Il se sert des moyens de la technologie moderne pour renouer les liens avec ce qu’il y a de primaire ou primitif. La pierre notamment occupe une grande place dans son œuvre. L’artiste est un passeur, un médium. Il intervient le moins possible. Il laisse être. Le processus de création est toujours déjà en cours. Il ne s’agit pas de reproduire la nature, mais de faire comme elle, de créer. De créer comme elle, avec les moyens du bord, dans l’aléatoire, en connectant les éléments, en captant les forces, en saisissant leurs rapports. L’art se trouve déjà là, dans les plis d’un papier couvrant une vitrine, dans les couleurs, les figures et les fissures d’une pierre. L’artiste révèle l’art, son art consiste à révéler, à laisser être, à capter ce qui est, à le rendre visible. L’art nous immobilise et nous force à voir ce que nous avons sous les yeux et que nous ne voyons pas. Les œuvres entourent le plus simple, le plus ordinaire d’une aura presque sacrée. L’artiste nous montre toute la beauté recelée dans ce qui est à portée de main et du regard.

L’œuvre de Nicolas Baier entretient un lien essentiel au cosmique et au microscopique. Rien de ce qui est matière ne lui est étranger. La matière est virtuellement ou actuellement vivante. Si l’artiste en fait le moins possible et s’efface au profit de ce qu’il donne à voir, sa position est paradoxalement d’autant plus essentielle qu’elle est discrète, car cela ne va pas de soi de laisser être ou de laisser faire ce qui est. L’être humain a plutôt tendance au contraire à prendre beaucoup de place, mettant à l’avant-plan « l’infime dedans » au détriment de « l’infini dehors » (Artaud), en restant trop souvent à ce qui est « humain, trop humain » (Nietzsche). Garder le silence n’est pas facile puisque nous le remplissons d’emblée par la parole, voire le bavardage. C’est certes un humain qui révèle ou laisse être ce qui est. Il cadre, applique tel procédé technique, prend diverses décisions, mais au minimum, juste assez pour révéler. Pour rendre la pierre ou laisser être la pierre, il faut que la pierre se dépose au fond de nous. Pour révéler le météorite qui lui-même montre une planète structurée et inhabitée, il faut que le météorite tombe en nous. Pour révéler le papier et le laisser lui-même dans ses plis et son grain nous montrer des nuages ou un désert, il faut que les plis et les replis de l’âme épousent ceux du papier. Ce qui est en jeu dans l’acte de créer, de montrer ou de révéler, est tout aussi difficile à saisir que les effets de l’œuvre sur l’âme du spectateur ou du regardeur. L’artiste est le premier témoin, et son œuvre témoigne pour une réalité dont il n’est qu’un « fragment minuscule » (Spinoza).

Plutôt que « réalité » ou « nature », il faudrait se contenter de dire : « il y a ». Cela nous dépasse, cela est sans nom. L’artiste pointe du doigt l’« il y a ». « Il y a » : à la fois simple et complexe, évident et énigmatique.

Je n’ai encore rien dit de l’immense beauté des œuvres exposées, beauté minérale, mais sans froideur, aux formes et aux couleurs douces et chaudes, avec leurs figures souvent séduisantes qui nous renvoient parfois à d’autres figures de l’art − les formes aléatoires de la matière rejoignant certaines formes célèbres de l’histoire de l’art. Paésine 01 et 02 nous font voir un paysage de rêve, tel un cristal à la dentelle fractale, ou encore une ville engloutie, peut-être la Venise représentée par tant de peintres du passé. Nuages 1 à 9, dans la contingence de leurs plis et de leur découpage, nous révèlent, vus du ciel, des continents disparus. Météorite nous montre tout un fin jeu de tissage à la fois humain et surhumain. Bas-relief, diptyque nous révèle l’envers d’un tableau anonyme, métaphore de l’art de Nicolas Baier qui consiste à produire une œuvre à partir d’une création déjà là. Enfin Pierre de rêve porte exactement son nom. La pierre nous fait rêver à des cristaux, à des feuilles, à des insectes, à un kimono…

Nicolas Baier reste au plus près de ce qui est. La forme est celle de l’informe; la nécessité, celle du hasard. La beauté est celle de la nature ou de l’« il y a ». L’originalité de l’artiste est qu’il ne prétend à aucune originalité, qu’il se met au service d’un infini ou d’un infinitésimal dehors qui le traverse et, grâce à lui, nous traverse à notre tour.

Pierre Bertrand enseigne la philosophie au collège Édouard-Montpetit. Il a publié, entre autres, aux éditions Liber, La part d’ombre (2010), Pourquoi créer ? (2009), L’intime et le prochain (2007), Exercices de perception (2006) et La conversion du regard (2005).

 
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