[Hiver 1988]
par Hamid Laidaoui
Le racisme projeté dans sa dimension idéologique, s’inscrit dans un processus de réification extrême (transformation des personnes en choses). L’égocentrisme collectif devient ethnocentrisme et peut nous mener jusqu’au délire hitlérien.
L’égocentrisme nous habite tous et chacun. Mais quand le raisonnement égocentrique devient discours d’État, il y a danger. Ne voir le racisme ou la xénophobie que chez les autres constitue déjà une esquisse à la tentation ethnocentrique.
Des Tamouls sont massacrés par les Cinghalais, des formes d’ethnocide ou de génocide sont (ou ont été) vécues par les Kurdes, les Tutsis ou les Miskitos: nous en convenons. Mais cela doit-il servir d’excuse pour que les nations prospères, dites civilisées, démocratiques, puissent tolérer ou entretenir l’intolérance à l’égard de leurs minorités?
Un vent de panique souffle dans les pays industrialisés qui redoutent « l’invasion des hordes tiers-mondistes ». Cette psychose ressentie en Europe comme au Québec est savamment entretenue par les médias et les tenants de la sauvegarde de LA RACE. Heureusement, les groupes de pression à caractère humanitaire et religieux nous mettent en garde contre ces mythes et ces tendances réductionnistes. Ceci se manifeste évidemment lors d’épiphénomènes comme l’arrivée récente des réfugiés tamouls et turcs.
Cependant le racisme, le vrai, nous guette toujours. Il revêt le manteau de Nessus et se manifeste épisodiquement, avec pour cible, non pas un groupe ou une communauté, mais un individu isolé.
On raconte que Jean-Jacques Rousseau, traversant une bourgade populeuse, y fut insulté par un rustre dont la verve mit la foule en joie. Confus, décontenancé, Rousseau ne trouvant mot à lui opposer, s’enfuit sous les quolibets.
La raillerie, la toise, la provocation sont le lot des Rousseau « étrangers », « importés », « imagés » dans les rues, le métro, les places publiques où ils rencontrent le rustre « providentiel ». Lorsqu’on est « différent », on est automatiquement suspecté. L’employeur préférera embaucher les nationaux, le concierge d’immeuble aura peur de louer à des étrangers aux mœurs « douteuses », qui-ne-sont-pas-comme-nous. Le fonctionnaire paniquera souvent devant un nom « étranger » ou une bouille de métèque, d’une autre « race ». La discrimination envers les étudiants étrangers est monnaie courante dans nos chères cités universelles, nos universités.
Peut-on combattre le racisme? Pour cela il faut combattre les préjugés ancrés chez les faiseurs d’opinions: les médias, les politiciens, les éditeurs. À Montréal, on peut lire la revue de Le Pen, on peut entendre quotidiennement le pensum d’un Gilles Proulx dans « Le journal du midi », tribune qui incite à la xénophobie tranquille où tous les ingrédients sont bons: appel de la race, alerte à l’invasion et au germe du terrorisme. Jean-Marc Brunet. à une certaine époque, appuyait la doctrine néo-nazie. Gérard De Villiers est le plus grand vendeur de romans policiers, véritables dithyrambes du sexisme et du racisme (voir S.A.S. chez Plon).
Le dialogue et l’échange interculturels se font à deux, dans les deux sens. Il faut donc travailler pour que cet objectif ne demeure pas un vœu pieux.
Le racisme est schizophrénique et implique une perception délirante de la minorité raciale visée et de l’individu qui la représente (le diable est noir— le noir est diable selon la loi de Domarus-Vigorsky).
L’antiracisme risque aussi de sombrer dans l’idéologie et de nous mener à une perception délirante de l’adversaire.