Publier en 2015 un magazine d’art contemporain spécialisé en photographie demeure plus que jamais pertinent, comme le démontre le nombre important de revues, de galeries, de centres d’exposition et d’événements (Mois de la photo et rencontres photographiques en tous genres) qui existent et se créent partout à travers le monde autour de l’image photographique.
Nous n’en sommes plus, bien sûr, au temps des débats pour la reconnaissance de la valeur artistique de la photographie. Celle-ci occupe désormais une place centrale dans les pratiques artistiques contemporaines et ses œuvres sont bien intégrées aux collections muséales. Plusieurs de nos grands musées ont par ailleurs développé des collections qui s’attachent à retracer différents aspects de son histoire. Il n’en demeure pas moins que la création d’un véritable musée de la photographie semble toujours apparaître comme un objectif hors d’atteinte pour notre milieu – notamment après le retour du Musée de la photographie canadienne contemporaine dans le giron du Musée des beaux-arts du Canada. Aussi la création récente d’un important centre d’exposition et de recherche sur la photographie à l’Université Ryerson représente-t-elle un moment marquant. Qu’une telle institution s’enracine dans le monde universitaire est fort révélateur de la légitimité croissante du champ des études photographiques au sein de nos universités et de la vitalité des réflexions qu’il suscite.
L’image photographique est partout présente dans la société et la compréhension de ses mutations récentes pose d’importants défis. La multiplicité de ses états, de ses statuts et de ses usages impose une lecture transversale – dans la lignée des cultural et visual studies – qui permet d’interroger et de croiser les pratiques d’un monde de l’art spécialisé avec celles des cercles professionnels (le photojournalisme et le documentaire au premier chef, mais aussi le judiciaire, le scientifique et les médias) et celles qui relèvent du personnel et du vernaculaire. De plus, la mutation numérique des images, leur multiplication et leur circulation accélérée dans les réseaux, les possibilités illimitées d’appropriation, de transformation et de partage que cela permet ouvrent à un nouvel état de l’image, enfin pleinement distancié par rapport au réel, qui nous oblige à réévaluer et à relégitimer les champs de l’art et de la culture.
La situation actuelle laisse également entrevoir un nouvel état de la culture, au sein duquel l’art se verrait de plus en plus associé au divertissement, au tourisme et à la spéculation financière et sa dimension de recherche, emportée dans la foulée d’une remise en question de l’autonomie des champs de pratique intellectuelle. Ce qui apparaît ainsi comme une menace pour le devenir de l’art peut-il également advenir comme un défi, comme une ouverture ? Plus qu’une simple défense, plus qu’une simple résistance, nos relectures doivent rendre la complexité des situations et des enjeux, replonger dans l’histoire, tenir à distance les lieux communs, réinventer nos façons de voir. Ce à quoi la diversité des pratiques d’un art contemporain devenu omnivore peut très clairement contribuer. Les défis demeurent nombreux.
Jacques Doyon