Par Alexis Desgagnés
Néobaroque
Le choix d’une telle épithète pour qualifier l’« univers vertigineux et virtuellement infini » de YouTube est heureux. À lire ce petit précis consacré à l’incontournable plateforme numérique, on saisit à quel point YouTube, de par le volume et l’hétérogénéité de son contenu, est caractérisé par la démesure et l’excès qu’il suppose et permet. Considéré par l’auteur comme « un des faits de civilisation majeurs de ce début de millénaire », YouTube propose une culture labyrinthique, consommée à coups de fragments décontextualisés, au sein de laquelle se côtoient sans discrimination les manifestations de la culture dominante et de ses marges. L’ampleur du phénomène est telle que YouTube incarnera peut-être, un jour, une sorte d’hyperréalité déclassant le réel même.
Antonio Dominguez Leiva, YouTube théorie. Un vertige néobaroque, Montréal, Les Éditions de ta mère, 2014, 112 p., fr.
Stem the flow
Noted at the Prix du livre Paris Photo – Fondation Aperture 2014, Ed It is an atypical book. Although it appears to be a manual offering a classification system for photographic archives – which it in fact is – the book’s practical function is transcended by the strength and currency of the theoretical presumptions that justify its existence. As historian of photography Fred Ritchin suggests in his foreword to the book, the continual expansion of archives implies the possibility of a trivial future for all things, as they are drowned in the sea of their infinite equivalence. In this context, the authors of Ed It propose a tool that makes it possible, as much as it is possible, to stem the flow.
Ola Lanko, Brigiet van den Berg, Nikki Brörmann et al., Ed It: The Substantial System for Photographic Archive Maintenance, Amsterdam, ED, 2013, n. p., ill. + appendix, Eng.
D’un bidonville à l’autre
Complément du documentaire que Jean-Nicolas Orhon et Nicolas Reeves ont consacré au phénomène des bidonvilles, cette publication se décline en deux temps. Le lecteur accompagne d’abord Orhon dans une sorte de carnet où le réalisateur nous donne à lire le hors-champ de son film : préparatifs, repérages, recherches, états d’âme, réflexions et anecdotes sont partagés dans une langue familière et humaine. Reeves, quant à lui, restitue quatre périples ayant alimenté sa réflexion sur les bidonvilles, du Brésil au Kenya, en passant par la Turquie et l’Inde. L’ouvrage est abondamment illustré de photographies prises par les auteurs lors de leurs voyages et témoignant de la réalité des bidonvilles visités d’un point de vue résolument humaniste.
Jean-Nicolas Orhon et Nicolas Reeves, La maison, la ville et les gens. Le phénomène bidonville, Montréal, Les Éditions du passage, 2014, 294 p., ill., fr.
Interviews
Since 2008, Rémi Coignet has been writing Des livres et des photos, a blog about current issues in photography via the medium of the book. Coignet has accumulated a number of interviews with various actors in the photography community – mainly photographers but also publishers, graphic designers, and curators. These conversations, some with interlocutors as prestigious as Lewis Baltz, Paul Graham, Daido Moriyama, and Anders Petersen, also offer an opportunity to discover less-well-known photobook practitioners, whose thoughts shed a bright light on this area of publishing. An experienced interviewer, Coignet proves to be both skilful and spontaneous. English version also available.
Rémi Coignet, Conversations, Paris, The Eyes Publishing, 2014, 256 pp., Fr.
Du dépaysement
Après Sutures (2003) et Courants ~ contre-courants (2007), Clément récidive avec une nouvelle publication au titre laconique. Le dépaysement ici proposé ne réfère pas à l’esthétique photographique à laquelle l’artiste, avec ses noirs, ses gris et ses blancs, ses réflexions, ses textures et ses compositions aussi complexes que poétiques, bref son vocabulaire, nous a rendu familier. Non, il s’agit plutôt d’évoquer l’idée d’une perte de repères, provoquée par un retour sur une carrière amorcée dans les années 1970 et aussi riche en voyages qu’en images. Clément a revisité l’ensemble de ses projets afin de puiser, dans ce qui n’avait jusqu’ici jamais été montré, le matériau de ce nouvel ouvrage. Lieux et époques s’y confondent, comme autant de souvenirs dérivant librement sur les eaux d’une mémoire photographique sans jamais pour autant sombrer dans la nostalgie.
Serge Clément, Dépaysé, Heidelberg, Kehrer Verlag, 2014, s. p., ill.
Lost and found
Long viewed as an essential in the history of photography, the work done by Walker Evans during the economic crisis of the 1930s, as presented in the important books American Photographs (1938) and Let Us Now Praise Famous Men (1941), eclipsed the rest of the photographer’s career. David Campany devoted his book to a little-known part of Evans’s production: his work for illustrated magazines, notably Fortunes, Harper’s Bazaar, and Vogue. Campany digs up photographic material that has literally gone unseen, because it does not correspond to the categories in the dominant institutional discourse, as it is inscribed in the field of visual culture rather than that of fine art. Abundantly illustrated, the book gives a better understanding of the relationship between text and image in this part of Evans’s production, as well as his place within the economy of printed materials.
David Campany, Walker Evans: The Magazine Work, Göttingen, Steidl Verlag, 2014, 224 pp. ill., Eng.
Alexis Desgagnés est rédacteur adjoint au magazine Ciel variable.