En géologie, le concept de stratification renvoie à l’idée d’un processus au cours duquel des sédiments s’accumulent en couches, pour éventuellement former des ensembles sédimentaires plus ou moins hétérogènes, mais qui n’en demeurent pas moins des unités de sens à part entière. Aux abords des sentiers ou des routes qui sillonnent le monde et ses paysages, on découvre souvent de tels ensembles, qui offrent la possibilité d’une lecture simultanée des nombreuses strates de temps qui, par accumulation, ont formé l’histoire géologique des territoires que nous arpentons. Indice d’une époque révolue, peut-être à peine encore intelligible, chaque couche se présente à nous en étant porteuse de sa propre signification, autonome et souveraine, mais néanmoins subsumée sous celle de l’ensemble qu’on s’efforce de décrypter.
Ainsi en va-t-il de certaines images, dont la compréhension suppose un effeuillage des différentes strates de signes qui les constituent. À ce titre, les séries Scarti d’Adam Broomberg et Oliver Chanarin, Copperheads de Moyra Davey ainsi que les Études préparatoires de Marc-Antoine K. Phaneuf, auxquelles Ciel variable consacre la section thématique du présent numéro, ont ceci en commun qu’elles sont le fruit de processus de stratification. Chacune des œuvres de ces séries procède en effet d’une intervention, fortuite ou préméditée, effectuée sur une image tenant lieu de substrat, sur laquelle est superposé un référent qui lui est a priori étranger – par exemple un motif, une autre image ou de simples accidents du temps. Nous forçant à faire des allers-retours répétés entre l’analyse et la synthèse de leurs différents constituants, ces œuvres permettent d’apprécier comment l’ajout de signes peut modifier, enrichir ou court-circuiter la nature et le sens d’une image.
Alexis Desgagnés