par Alexis Desgagnés
Un homme creuse
L’acuité avec laquelle Jon Rafman explore le monde virtuel fait de son oeuvre une proposition artistique contemporaine des plus significatives. L’excellente exposition présentée récemment par le Musée d’art contemporain de Montréal permettait d’ailleurs de prendre la mesure de la capacité de l’artiste à se faire le fin transcripteur des fondements mythologiques de la culture virtuelle de notre époque. Ses vidéos mettent en effet leur puissance visuelle et narrative au service de récits mythologiques percutants. De ces récits, le catalogue de ladite exposition, qui fait l’économie d’une transcription des textes magnifiques des vidéos de l’artiste, n’offre malheureusement que des fragments désarticulés, presque inintelligibles, déclinés en un recueil d’images extraites des projets de l’artiste et livrées sans véritable organisation, sans pour autant qu’on puisse comprendre l’ouvrage comme procédant d’une volonté assumée d’abstraction. Même si le lecteur pourra éprouver le sentiment d’avoir été oublié dans la mise en forme de cet ersatz du travail de Rafman, il appréciera, pour peu qu’il soit en mesure de reconstituer par lui-même l’univers de l’artiste, de pouvoir se perdre à souhait dans les dédales de celui-ci. Mark Lanctôt, Jon Rafman, Montréal, Musée d’art contemporain de Montréal, 2015, 192 p., fr. et ang.
The Interview Issue
In its autumn issue, the leading magazine Aperture features interviews with nine accomplished photographers, each of whom casts a retrospective eye at a fertile and fruitful career. The issue opens strongly with a look back at the professional life of the legendary William Klein, whose advanced age seems to have done nothing to temper his irreverent character. The interviews given by Boris Mikhailov and his wife, Vita, and by David Goldblatt offer an emotional read, as they eloquently describe the difficulties entailed in practising photography in the sensitive contexts of, respectively, the Soviet Union and South Africa under apartheid. To evade military service, Paolo Gasparini moved from Italy to Venezuela, where he has documented the political effervescence of Latin America from the 1950s to the present day. Bruce Davidson relates the distant origins of his passion for photography, and Ishiuchi Miyako speaks about his ambivalent attitude toward the medium. Influenced by Lisette Model, with whom she studied, Rosalind Fox Solomon details her interest in rituals of all sorts. Guido Guidi evokes multiple influences to shed light on the particular classicism of his work, and Bertien van Manen relates how his discovery of Robert Frank’s The Americans helped to reorient his fashion photography toward an intimate approach to the aesthetic of the snapshot. Aperture, no. 220 (Fall 2015), 152 pp. ill. Eng.
Hier Montréal
Environ quatre décennies nous séparent des plus anciennes photographies qu’on trouve dans cet ouvrage d’Alain Chagnon, qui porte sur la vie quotidienne dans les quartiers centraux de Montréal dans les années 1970 et 1980, en particulier celui du Plateau. Nul doute que celles et ceux qui y ont vécu apprécieront avec nostalgie de revoir, sinon de revivre, un peu d’une époque désormais à peu près entièrement engloutie par les flots du temps et dont il ne nous restera bientôt que des livres comme celui-ci pour nous faire une idée de ce qu’elle fut. Dans ce Montréal-là, rares étaient ceux qui ne fumaient pas la cigarette, et les enfants régnaient en maîtres absolus dans toutes les rues. Les « béciques à pédales » avaient des « bancs banane » et les grosses « minounes », de longues banquettes parfaites pour frencher. Les vieux bonhommes, qui portaient encore les grosses lunettes des années 1960, se coiffaient avec du Brylcreem et s’agglutinaient dans les tavernes pour descendre, un verre après l’autre, la « bière du chien à Molson ». Il y avait encore de vraies tempêtes de neige et on fêtait sans honte la Saint-Jean, parce que c’est sans honte qu’on prenait collectivement conscience qu’on était « peut-être quelque chose comme un grand peuple ». Certains allaient jusqu’à « lâcher leur job » pour photographier tout ça, parce que la photographie leur paraissait un moyen légitime de donner la parole à la petite vie des petites gens d’avant la gentrification. C’est cette parole qui résonne aujourd’hui, dans toute sa splendeur, dans ce livre humble mais hautement nécessaire. Alain Chagnon, Vie de quartier, Montréal, Alain Chagnon, 2015, n. p.
Sinographies
It is common knowledge that the photobook has become very popular over the last few years, leading to the occasional publication of volumes that bring together the most significant accomplishments in a number of cultural areas of the world. After publishing works devoted to the photobook in Latin America and the Netherlands, Aperture is returning to the subject with a book on the Chinese context. Edited by photographers Martin Parr and the duo WassinkLundgren, The Chinese Photobook offers a chronological look at the history of China from the early twentieth century to the present, as envisaged via the photobook. Chapters devoted to publications illustrating the transition from imperial China to the communist regime are followed by those depicting how the photobook was used as a propaganda tool to disseminate the regime’s main political achievements. The final chapters show the new vitality of contemporary Chinese photography, as evidenced by the many books being put out by Chinese presses. Martin Parr and WassinkLundgren, eds., The Chinese Photobook, New York, Aperture, 2015, 480 pp. Eng.
Alexis Desgagnés était rédacteur adjoint au magazine Ciel variable jusqu’à tout récemment.