Gregory Halpern, ZZYZX – Louis Perreault

[Ce texte a paru initialement dans le numéro 105 de Ciel variable, hiver 2017.]

ZZYZX
Gregory Halpern
Mack, Londres, 2016,
128 pages, 77 photographies

Par Louis Perreault

Dans l’univers de la photographie, le livre continue de jouer un rôle essentiel de diffusion. Or, au-delà du simple outil de promotion du travail d’un photographe, le livre est abordé par plusieurs comme un espace de création à part entière. Chaque niche d’un domaine culturel renfermant sa propre richesse, le monde de l’édition du livre de photographies possède quelques superstars établies ainsi que d’autres étoiles montantes ou simplement filant à toute allure dans une constellation étourdissante de publications de toutes sortes. Quiconque gravite dans cet univers bien précis aura donc suivi l’ascension du photographe Gregory Halpern, qui a publié récemment chez l’éditeur anglais Mack un livre intitulé ZZYZX. Ce dernier s’est mérité le prestigieux PhotoBook of the Year award remis par la fondation américaine Aperture lors de l’événement Paris Photo 2016.

Gregory Halpern, ZZYZX, Mack, Londres, 2016, 128 pages, 77 photographies

Gregory Halpern, ZZYZX, Mack, Londres, 2016, 128 pages, 77 photographies

Il faut bien sûr d’abord s’arrêter au titre quasi abstrait qui, comme la couverture énigmatique, suggère une invitation à la spéculation et à l’imagination, une invitation à plonger dans l’ambiguïté des significations.

Avec un peu de recherche, on découvrira que ZZYZX est le nom de l’ancien site de Zzyzx Mineral Springs and Health Spa, qui est aujourd’hui le site du Desert Studies Center (Centre d’études du désert) de la California State University. Une seule phrase à la toute fin du livre indique aussi au lecteur que les images ont été produites dans les environs de Los Angeles. Malgré le flou qui entoure de telles informations, on ne saurait en vouloir à l’auteur de conserver une aura de mystère autour de son livre. On comprendra d’après les images qui s’y trouvent que la photographie, malgré le rôle descriptif qu’on veut souvent lui donner, arrive moins à montrer un lieu ou une situation qu’à évoquer un sens qui la dépasse.

En survolant le livre du début à la fin, on assistera à une traversée géographique partant du désert californien jusqu’à l’océan Pacifique. En cours de route, Halpern entrera dans la ville de Los Angeles pour y rencontrer une multitude de personnages dont il réalisera des portraits saisissants. Comme ceux de son prédécesseur Diane Arbus, les portraits d’Halpern reposent sur l’intensité des sentiments qu’ils provoquent. Halpern évite de tomber dans le voyeurisme souvent associé aux images de marginalisés ; tout comme on le comprenait des portraits d’Arbus, ceux d’Halpern sont faits à la fois de l’empathie certaine de leur auteur et de l’inconfort que le lecteur peut ressentir face à la vulnérabilité des sujets photographiés. En quelque sorte, leur intensité en tant qu’images leur fait perdre leur fonction première de portraits pour les faire entrer dans l’univers visuel que construit pour nous le photographe.

Si le sujet du livre tourne autour de la grande ville du cinéma américain, il n’est pas pour autant issu d’une intention documentaire. Puisant dans le langage visuel de ce genre photographique, ZZYZX s’apparente davantage à la poésie, de laquelle Halpern tire certaines de ses stratégies de mise en forme. Tout au long du livre, la présence de certains motifs récurrents tisse un lien dans ce qui autrement pourrait être perçu comme un amalgame bigarré de portraits, de paysages, de détails d’architecture ou de scènes de rues. Cette stratégie de la récurrence n’est certes pas nouvelle, des photographes américains comme Robert Frank et Alec Soth en ont souvent exploité le potentiel. Or, ce qui surprend avec le travail d’Halpern c’est le rythme et la finesse avec lesquels ces signes sont utilisés dans la mise en page des images.

Le livre est construit en courtes séquences, entrecoupées de pages blanches. Tout comme le romancier qui cherche à trouver de nouvelles formes de narration pour son histoire, Halpern propose dans son livre une multitude d’associations et de juxtapositions qui laissent peu de répit au lecteur. Au détour d’une double page où un portrait énigmatique envoûte par sa lumière, ses tonalités très sombres et l’intensité du regard hors champ du sujet, le lecteur découvre une image montrant un gratte-­ciel frappé par la lumière très dure de l’après-midi. Dans la page suivante, une jeune femme aux cheveux exceptionnellement longs est assise, seule, sur un banc. De l’intensité à l’immensité, de la figure solitaire aux grands espaces (qu’ils soient urbains ou naturels), Halpern accomplit avec brio la difficile tâche de traduire les sentiments de surprise et d’instabilité qui envahissent celui qui découvre attentivement de nouveaux territoires.

Comme la plupart des publications de Mack, ZZYZX impressionne par la qualité de la production, qui est ici exceptionnelle. Du format des images (toutes verticales) jusqu’au choix du papier, en passant par l’audace du design de la couverture, cet ouvrage réaffirme (si cela était encore nécessaire) la place importante qu’occupe cet éditeur dans le paysage international de plus en plus vaste du photobook.

  • Gregory Halpern, ZZYZX, Mack, Londres, 2016, 128 pages, 77 photographies

Louis Perreault vit et travaille à Montréal. Il déploie sa pratique à l’intérieur de ses projets photographiques personnels ainsi que dans les projets d’édition auxquels il collabore grâce aux Éditions du Renard, qu’il a fondées en 2012. Il enseigne la photographie au Cégep André-Laurendeau et contribue régulièrement au magazine Ciel variable, pour lequel il recense la parution de livres photographiques.

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