[Printemps-été 2018]
DHC/Art, Montréal
Du 25 octobre 2017 au 11 mars 2018
Par Sylvain Campeau
Les outils dont dépendent les arts de l’image que sont la vidéo et la photographie tiennent aux conditions mêmes qui sont les limites de notre existence : le temps et l’espace. Il semble bien que ce soit quelque chose que Bill Viola a compris d’instinct. En effet, ses oeuvres reconduisent à des figurations existentielles où l’espace et le temps jouent un rôle prépondérant. Devant de semblables oeuvres, nous sommes donc conviés à une sorte de théâtre de l’être tel qu’il se présente dans le temps et l’espace de son habitation terrestre. Son apparition dans l’image est donc à l’aune de sa présence sur la terre.
Évidemment, avec de telles préoccupations, on comprendra que la figure humaine est une composante incontournable des travaux de l’artiste. Qu’elle soit presque immobile ou en mouvement, elle est campée au sein de rituels que ce dernier commande. Ceux-ci sont des illustrations assez simples, réduites à l’essentiel, sorte de degré zéro de nos présences, d’actions dont le caractère routinier est parfois assez insolite. Les six projections vidéo regroupées dans cette exposition en offrent un bon exemple. Un certain nombre de celles-ci sont offertes de concert, dans une même salle, combinant leur effet.
Ainsi, Ancestors, Walking on the Edge et The Encounter, toutes datées de 2012, montrent des scènes construites dans des environnements similaires, qui rappellent d’ailleurs celui d’un travail antérieur, la bande Chott el-Djerid (A Portrait in Light and Heat), de 1979. Dans ces décors de désert aride, des figures lointaines se profilent, qui avancent vers la caméra, respectant une cadence lente et mesurée. Comme elles sont à grande distance au départ, leur apparition subit les aléas de la chaleur vaporeuse qui finit par les brouiller, tel le ferait un mirage. Ancestors expose ainsi les silhouettes d’une mère et de son fils dans un parcours qui les fait traverser une tempête de sable. Que les deux soient de race noire et qu’ils cheminent vraisemblablement dans un environnement africain, continent dont on sait aujourd’hui qu’y naquit la race humaine, renforce le caractère de profonde essentialité de cette œuvre, qui plonge ses racines dans la préhistoire. Cette mère et son fils traversent donc une distance qui n’est pas uniquement d’ordre spatial. Les deux autres œuvres reposent sur de semblables déambulations qui font se croiser puis se séparer un homme et son fils, dans un cas, et, dans l’autre, se rencontrer une femme jeune et son aînée, qui semble avoir quelque chose à confier à sa puinée. L’offrande faite, elles se détournent l’une de l’autre pour retourner à leur point d’origine.
Avec The Return, on se mesure à un essai esthétique un rien plus mystique, qui semble faire référence à notre mortalité. La bande commence sur une figure féminine, fantomatique, comme si quelque chose venait brouiller son inscription définitive. Pour tout dire, elle semble image, déjà, dématérialisée, évanescente ; spectre presque. Elle avance vers nous et tend une main qui traverse et révèle du coup la présence d’un mur d’eau. Cette traversée aqueuse finie, le personnage reprend ses couleurs réelles. Après un moment passé à nous toiser, elle se détourne lentement de nous pour replonger dans cet au-delà, retraversant le filet qui la sépare d’un autre état d’être et, peut-être, de conscience.
L’eau est un élément qui revient souvent dans les œuvres de l’artiste. On la retrouve encore dans Ascension, une projection grand format de 2000. Paradoxalement, on y voit la plongée d’un homme dans l’eau, depuis une perspective sous-marine. Emporté par son élan, ce personnage tout habillé descend au plus bas pour tranquillement remonter à la surface, flottant inerte vers une ascension.
S’ajoute à cette sélection la projection vidéo à grande échelle, en première canadienne, d’Inverted Birth, de 2014. Il s’agit encore une fois d’une inversion du cours de l’image animée, simulant un renversement du cours du temps. Un homme, torse nu, apparaît devant nous, mouillé des pieds à la tête, maculé. L’eau sur le sol semble bizarrement instable ; c’est qu’elle remonte, plutôt que de tomber. Peu à peu, le mouvement s’accentue. Passe un assez long moment à la fin duquel une eau sombre sinue, sur le corps offert, depuis le bas vers le haut d’où elle s’échappe. De noir, le liquide vire au rouge puis au blanc, comme si les couleurs s’employaient à représenter les âges de l’homme. Immanquablement, on pense aux substances visqueuses qui baignent le corps de l’enfant à la naissance. Il en va ici comme si cette venue au monde était, encore et encore, jouée et rejouée. Mais, comme tout est renversé, on croirait que le personnage s’éjecte du temps, jouant une naissance qui le retourne à l’essentiel de sa condition de mortel. Car la marche à rebours commune aux travaux vidéographiques de Bill Viola semble bien faire cela : nous permettre une halte dans le cours du temps, histoire de contempler notre humanité, notre mortalité, l’expérimentant par œuvre interposée.
Sylvain Campeau collabore à de nombreuses revues canadiennes et européennes. Il est aussi l’auteur des essais Chambre obscure : photographie et installation, Chantiers de l’image et Imago Lexis de même que de cinq recueils de poésie. En tant que commissaire, il a également à son actif une trentaine d’expositions.
[ Numéro complet, en version papier et numérique, disponible ici : Ciel variable 109 – REVISITER ]
[ Article individuel, en numérique, disponible ici : Bill Viola, Naissance à rebours – Sylvain Campeau ]