[Été 2019]
Par Jacques Doyon
Trois expositions récentes, celles de deux artistes et d’un collectionneur, nous offrent l’occasion de jeter un regard inusité sur l’acte de collectionner. Le dossier de ce numéro porte sur des collections d’images aux statuts différents, mais qui font toutes l’objet d’une relecture, d’une recontextualisation, que ce soit sous l’angle de la mise en évidence d’un mode de travail qui traverse et structure l’ensemble d’une production artistique (Serge Clément), d’une plongée dans une collection de films dont on extirpe et traduit des images pour les faire siennes (Bertrand Carrière) ou encore de la transposition d’une collection personnelle dans les salles d’un musée pour en magnifier la sensibilité et la cohérence (Jack Lazare).
Le projet Archipel de Serge Clément – qui recouvre à la fois une série photographique, une exposition et une publication –, réalisé en collaboration avec la commissaire Zoë Tousignant, permet de faire un retour sur la place centrale que le livre photographique occupe dans la pratique de l’artiste, que ce soit sous forme de maquettes non publiées, de livres d’artistes à compte d’auteur ou de publications à grand tirage. Le livre est aux yeux de Clément le support privilégié pour explorer la dimension narrative des images. Collectionneur passionné de livres photographiques, il redéploie ici l’ensemble de ses propres publications en une sorte de « collection de collections », à laquelle il conjugue, sous le titre d’Archipel, une nouvelle mise en séquence d’images déjà publiées.
Tout ceci est impossible, le projet de Bertrand Carrière, résulte d’une résidence de travail dans la collection de films de la Cinémathèque québécoise. Une précédente série, Images-temps (1997–2000), sert de point d’ancrage à sa quête d’une transposition de l’image animée vers la photographie. Ici, l’artiste explore tout particulièrement l’univers du film noir, en se focalisant sur le fondu enchaîné, procédé emblématique des juxtapositions temporelles au cinéma. Il en résulte une série de bandes-séquences, ses Images noires, qui, à partir d’extraits de films rephotographiés et condensés, recréent d’étranges moments d’ubiquité. Ces scènes, Carrière les met en contraste avec des images en couleur, elles aussi emblématiques du film noir, des Écrans lumineux trouant la noirceur.
Le don d’une trentaine de photographies au Musée des beaux-arts de Montréal par le collectionneur Jack Lazare était l’occasion parfaite de mettre en valeur la sensibilité particulière de sa collection personnelle et familiale. États d’âmes, esprit des lieux, qui rassemble portraits et paysages, reflète une vision du monde teintée de mélancolie. Les œuvres de Julia Margaret Cameron, point de départ de cette collection photographique, sont représentatives de l’état d’esprit général qui anime les portraits de cette exposition. Un état d’esprit qui trouve une résonance dans des paysages et des environnements urbains rendant compte de façon souvent critique de l’état actuel de notre société.