Chloé Beaulac, Ces lieux qui nous habitent — Dominique Sirois-Rouleau, Territoires de la mémoire

[Hiver 2021]

Par Dominique Sirois-Rouleau

[Extrait]
Lauréate des Missions photographiques des Laurentides1, Chloé Beaulac s’est donné comme premier objectif de retrouver le chalet familial qui a marqué son enfance. Cette quête a motivé le mois de résidence où les souvenirs de l’artiste, largement ancrés dans le paysage laurentien, ont été mis à l’épreuve de la réalité. Pendant plusieurs jours, elle a arpenté le territoire et saisi chaque bribe de mémoire, instant de surprise et moment de beauté. Les polaroids accumulés retracent ainsi le parcours et les influences du projet, tout en témoignant du travail de recomposition du souvenir.2

On aimerait croire à ce titre que Planque (2020) présente l’objet de la recherche originelle, mais le bâtiment retiré sur son rocher escarpé sert plutôt d’avertissement quant aux détours du processus mémoriel. Les faits glissent avec le temps du côté des affects, de sorte que la réalité se meut en une presque vérité propre qu’à elle-même. L’univers de faux-semblants et de substitutions de Beaulac rejoue ce mécanisme. Les attentes authentiques sont trahies au profit d’une interprétation fantastique des espaces. Le chalet trône.

Inhabité et calmement reflété dans l’eau du lac, il détonne avec la végétation fébrile qui l’encadre. Ses rideaux sont étrangement tirés sur une nature opulente et déjà isolée. Loin du cadre champêtre présumé des souvenirs d’une enfant, le bâtiment s’apparente finalement à une cachette pour ceux qui refusent de voir autant que d’être vus. Le lieu mis à découvert par l’image est aussi signalé par une insolite percée du ciel. Il se présente alors sous un angle drôlement inquiétant, comme si, à l’instar de l’ensemble du corpus, il était surpris en pleine transition entre le vrai et l’invention.

Vérités recomposées. La nature vue de l’enfance, celle admirée, grandiose depuis le quotidien urbanisé, se dévoile avec majesté dans Galerie des glaces (2020). Les manipulations de Beaulac s’y font plus perceptibles et augmentent la grandiloquence des lieux d’une touche onirique. Découpée et dédoublée comme les éclats d’un miroir, la forêt se fait d’autant plus vertigineuse qu’un homme au centre donne la mesure de son élévation.

1 Programme itinérant de création piloté par les Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie, les Missions photographiques se sont déroulées en 2019 dans la région des Laurentides.
2 Ces lieux qui nous habitent a été présentée au Centre d’exposition de Val-David, du 26 septembre 2020 au 4 janvier 2021.

 

Suite de l’article et autres images dans le magazine : Ciel variable 116 – PAYSAGES MIROIRS