[Automne 2023]
Par Jacques Doyon
Ce sont des images qui retiennent l’attention et intensifient le regard. Ce qu’elles donnent à voir est clair et précis, et pourtant il subsiste une zone d’inconnu qui incite à les observer plus attentivement et à remettre en question le contexte de leur production. Chez Nicolas Baier, ce sont les matériaux, les modes de fabrication, l’ampleur des sujets abordés qui interrogent. Thomas Demand, lui, substitue aux détails référentiels d’événements médiatisés une scène ouverte minutieusement reconstituée. Pour Adad Hannah enfin, il s’agit d’inscrire dans l’image les traces du travail qui sous-tend ses compositions et recompositions.
Vases communicants, le titre de l’exposition de Nicolas Baier, pointe vers la recherche d’une homéostasie, l’équilibre d’un système. Et ce système n’est pas mécanique, tel que l’atteste la longue vidéo qui donne son titre à l’exposition. Il inclut plutôt les pôles nature et culture dans un processus osmotique mettant l’organique et le vivant en relation avec les réalisations technologiques qui donnent à l’humain sa prise sur le monde. C’est cette interrelation intrinsèque que l’exposition tout entière interroge. La forêt résume ici le foisonnement et la complexité du monde vivant, alors que l’ordinateur condense la formidable capacité humaine d’agir sur le monde et de le transformer. Et tous les images et objets, nés dans l’atelier de l’artiste, sont comme des fossiles de la vie contemporaine, des artéfacts pour une archéologie du temps présent.
Les images de Thomas Demand sont à la fois très réalistes et fabriquées. Elles mettent à distance le détail des événements traumatiques médiatisés qui lui servent de source et, en même temps, elles donnent au factice un réalisme de détails saisissant. Le facsimilé de la maquette vient court-circuiter une adhésion à la scène représentée, mais le soin apporté à la qualité de l’image photographique tend à nouveau la pulsion réaliste. Il y a bien du réel dans l’image, mais il s’agit d’un réel fabriqué. Du coup, la représentation est indéterminée, elle ouvre sur une scène où quelque chose peut à nouveau advenir. À l’encontre de l’amoncellement d’images qui nous inondent de leur trop-plein de réalité, Demand nous offre plutôt un espace où « l’à venir » est à faire.
Le travail sur la pose et la composition a toujours été au cœur de l’exploration de l’image chez Adad Hannah : avec ses portraits vidéo qui jouent de la fixité photographique, avec ses images dans lesquelles le hors champ fait irruption par des jeux de miroir ou par la présence-absence à même l’image de silhouettes manipulant les éléments de la composition comme des marionnettistes. L’image est une fabrication, elle est un acte de culture, en dialogue avec des œuvres artistiques marquantes qui ont renouvelé et façonné notre façon de voir et de représenter le monde. L’image ne montre pas le monde, elle le façonne. Et elle ne le fait pas dans le morcellement et l’éphémérité, mais au contraire, dans la durée et dans le champ large et complexe de la culture en son sens plein.
[ Numéro complet, en version papier et numérique, disponible ici : Ciel variable 124 – DES IMAGES POUR MIEUX VOIR ]
[ L’article complet et plus d’images, en version numérique, sont disponibles ici : Des images pour voir quoi ? ]