Rhizomes, atlas et herbiers

[Hiver 2024]

Par Jacques Doyon

La ville naît de l’agglutinement des constructions qui abritent la vie et les activités humaines. Elle est tramée d’un ensemble de voies de circulation qui rythment le mouvement et les échanges. L’agglomération, c’est cela : un noyau de densité plus ou moins grande posé en un certain point d’un lacis rhizomique qui parcourt tout le territoire. C’est ce territoire qu’explorent les artistes réunis dans ce dossier : ils arpentent la ville, ses périphéries, les arrière-pays, pour prendre la mesure de la façon dont l’humain inscrit son urbanité dans le monde naturel et comment il le transforme. Que ce soit en partant à la redécouverte des singularités des régions, en déambulant dans les rues, nez au sol, à la recherche des mauvaises herbes et fleurs qui résistent à la bétonisation ou en circulant le long des axes autoroutiers qui dessinent la carte des zones périurbaines, ils pointent les richesses et les contradictions de nos façons de nous agglomérer.

Éric Tabuchi et Nelly Monnier ont entrepris de répertorier « photographiquement » les bâtiments et paysages caractéristiques de quelque 450 « régions naturelles » de France, une aventure titanesque visant à porter un regard renouvelé sur le pays. Les quatre premiers volumes de l’Atlas des Régions Naturelles (ARN) ont déjà été publiés, sur une somme qui devrait en totaliser une trentaine. Le duo explore aussi les modalités de présentation de ses images, en effectuant des rapprochements thématiques entre les régions ou, à d’autres occasions, en renforçant les liens de ses photos à des artéfacts locaux. Quatre de ces expositions sont ici explorées, notamment Soleil Gris, tenue aux Rencontres d’Arles durant l’été 2023.

Invitée par la municipalité de Bordeaux, Suzanne Lafont a d’abord longuement arpenté l’agglomération avant de focaliser son attention sur les plantes sauvages surgissant des interstices des rues et trottoirs. Elle en compose une sorte d’herbier photographique, à la taxonomie non scientifique et ouvrant plutôt sur la dimension narrative (romanesque) inhérente aux noms que portent les rues. Dans un second volet, les couleurs inversées des images sur fond noir nous les font voir comme irradiées. Pressentiment, anticipation ? Une manière de rappeler que la ville s’inscrit dans un territoire naturel plus large qu’elle, dont il faut connaître l’histoire et prendre en compte le devenir.

Bertrand Carrière arpente régulièrement une large zone sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent circonscrite par les autoroutes 10, 20 et 55. Il a constitué une sorte de journal visuel de ces lieux, en s’attachant à montrer la diversité des constructions, terrains vagues, gens et activités que l’on retrouve le long de ces grands axes de circulation qui structurent le paysage des villes. Certaines de ces images sont exposées sur les panneaux publicitaires de ces mêmes autoroutes, avec la mention « À qui appartient le paysage ? », une manière de s’interroger sur l’état du territoire, avec ses beautés, ses laideurs et les tensions qui président à son aménagement.

[ Numéro complet, en version papier et numérique, disponible ici : Ciel variable 125 – AGGLOMÉRATIONS ]
[ L’article complet et plus d’images, en version numérique, sont disponibles ici : Rhizomes, atlas et herbiers