[Deuxième prix] Marc Audette, Les Psychopompes

[Hiver 1991]


Diplômé en arts visuels de l’Université du Québec à Hull, Marc Audette avoue qu’il est arrivé à la photographie par accident, lorsqu’il a découvert que c’était encore la caméra qui servait le mieux ses intentions. Parce que la photo a un côté tordu. Parce qu’avec elle on peut tricher la réalité. Parce que l’oeil de la caméra est un témoin.
Le spectateur, un instant, croit à ce qu’il voit. Mais, alors, si ce qu’il voit est vrai, qu’en est-il de la réalité où il croit se situer ? L’imaginaire est déplacé. Et Marc Audette aime sérieusement jouer des tours. C’est ce qu’il fait depuis 1983, à chacune des 25 expositions qu’il a préparées.

Il m’arrive de penser que mes œuvres photographiques ont une fonction très chimérique. Elles ont des contenus symboliques qui appartiennent à un imaginaire n’ayant aucun lien apparent avec mes propres pensées, mes propres valeurs. Bien qu’elles soient de moi, elles me sont à première vue étrangères et loin de ce à quoi je souscris. Pourtant je les fabrique.

J’ai méticuleusement planifié les lignes maîtresses des mises en scène donnant un rôle à chacun des éléments choisis. Dosant les éclairages afin de produire ce que j’attends d’eux. Construisant des décors qui me semblent à point. Tout à coup les règles du jeu changent. Je réalise que les objets choisis s’investissent d’un autre sens. Ils ne dépendent plus de moi, je ne comprends plus ce que je fais. Tout cela n’a pas de sens, ou plutôt, n’a pas le sens que je voulais lui donner. M’engageant sur une piste dont je ne peux défendre le contenu, je poursuis sans trop comprendre ce qui se passe, décidé à ne pas reculer, à ne pas fuir. Parfois le temps d’un éclair, j’y trouve un certain sens que la raison a vite fait de chasser comme si, pour quelques instants, mes valeurs nord-américaines, sous le coup du hoquet, s’étaient soudainement déplacées bousculant ma trame du bien-pensant.

Mon intérêt : ces objets de ma censure
Souvent, en voyant mes photos, j’ai le goût de ne pas les montrer, de les censurer, car elles me font fortement réagir, s’attaquant à quelque  chose en moi qui a un rapport avec le dégoût, le vertige. Pour qu’il y ait censure, il faut un objet, une oeuvre à censurer. C’est cette oeuvre qui m’intéresse présentement. Celle que j’ai du mal à défendre, celle qui me donne chaud à montrer, celle pour qui je tolère mal le discours qu’elle semble imposer, le ridicule, l’agression, la honte, qu’elle me fait vivre.

La logique de l’intuition tordue
Ces imaginaires que je construis pour ensuite les photographier, avec ou sans personnage, me conduisent dans des terrains glissants où la raison est loin d’avoir des références, des barèmes ou des garde-fous. Comme si, à la fois, je savais et ne savais pas ce que je produis. Il me semble sentir dans ce micmac, dans ce tourbillon d’objets et d’imageries aux sens tordus, une autre logique, une logique aux résonances d’en deçà.

Mettre la nuit à jour
Carl G. Jung donnait au rêve le rôle du pont entre le conscient et l’inconscient. Il posait aussi l’existence d’un inconscient collectif et l’existence de lois rationnelles et irrationnelles : « La vie dans sa plénitude, tantôt obéit à des lois et tantôt elle y échappe ; tantôt rationnelle et tantôt irrationnelle. » (réf. C. G. Jung, Psychologie de l’inconscient, Librairie de l’Université, Georg & Cie, S.A. Genève, 1973). Il parle aussi de personnages intéressants : les psychopompes. Ces guides nous accompagnent dans nos rêves vers les profondeurs de l’inconscient, là où on préfère ne pas descendre.

Les ombres de l’étang
Je fais un parallèle entre ce que je produis, qui me semble au premier abord étourdi, et le travail de l’inconscient qui, justement, échappe à une certaine forme de raison.
Ces oeuvres, je les appelle des psychopompes. Bien que ces psychopompes semblent au départ très personnelles et ne dépendent que de moi, elles ne seraient pas – si ce que Cari Gustav Jung dit concernant l’inconscient collectif s’avère exact – le seul fruit de mon imagination, mais aussi en partie le fruit de nos imaginaires collectifs… Devrais-je dire, plutôt, l’inimaginable collectif ?
Je sais que, pour produire un effet (psychopompe), je me dois de continuer à travailler des images ayant parfois un contenu qui semble avoir des connotations religieuses ou chimériques. De toutes façons, vouloir maîtriser ces contenus à tout prix aurait pour effet de saboter le sens même de cette démarche. Ces images qui me font, pour l’instant, passer de la honte au vertige, de l’inconscience à la peur, de la gêne au chatoiement, de la conscience à la bêtise, frappe mon imaginaire de plein fouet.

Trop près de l’arbre pour voir la forêt
C’est sur ces bases si peu sûres, et surtout très étranges, que je compte produire cette année. Je me demande ce que Carl G. Jung penserait des parallèles faits entre l’inimaginable collectif et l’inconscient collectif mais, pour l’instant, il me semble que les explications sur lesquelles je me repose (le mot est très approprié) sont les plus adéquates, les plus proches de ce que je sens.