[Troisième prix] Horacio Paone, Chronique de quartier

[Hiver 1991]


Immigration, mot qui donne des frissons quand on est un hors-la-loi ou que l’on craint la déportation. Immigration, synonyme de déchirement, de la nostalgie du pays si lointain, là-bas, au sud ou à l’ouest.

Montréal comme destination tant désirée et rêvée. Les parcs Kent, Winnie et Nelson Mendela ; les coins Victoria et Van Horne, Barclay et Côte-des-Neiges qui forment une vaste mosaïque de races, de langues et de religions.

Quels projets mijotent Carolina et Mohamed si loin d’El Salvador et de la Somalie natale ? Combien d’accents différents disent… merci ! chaque soir, à la fin du cours de français pour immigrants à l’école Saint-Pascal-Baylon?

L’avenue de Courtrai, cette rue enfouie entre Victoria et Côte-des-Neiges qui abrite le Multi-Caf avec ses mets préparés, à un dollar, en français et en anglais. La maison des jeunes de Côte-des-Neiges, qui reçoit tous les soirs de Antillais apprenant les rudiments du hockey à roulettes. Plus à l’ouest, la pagode vietnamienne Chue-Quan-Am, qui célèbre à  chaque dimanche son rituel religieux et, avant d’arriver sur l’avenue Victoria, le Mount Zion Apostolic Church, qui fait de même avec sa collectivité noire des Caraïbes. Côte-des-Neiges en somme, c’est l’odeur du curry, les rythmes de salsa et les pièces d’une mappemonde venus se mêler au sirop d’érable.

J’ai commencé à faire du photojournalisme il y a huit ans. Après avoir acquis une expérience dans plusieurs journaux, où j’ai appris l’art de résumer une histoire en une seule photographie, je me suis intéressé à l’idée de prendre plusieurs clichés pour mieux comprendre l’être humain dans son environnement. Tel est l’état de ma recherche. Engagé dans cette voie, j’ai senti qu’aucune loi ni aucune règle ne tient quand je photographie avec mes tripes, que mon engagement personnel est fort et mon respect pour le sujet très grand. J’aime la vie ; c’est pourquoi je dénonce la mort. Je rêve du jour où l’une de mes photos sauvera une vie.