[Printemps 1994]
Susan Sontag, Sur la photographie,
Paris, Éd. U.G.E., 1993, collection 10-18, 240 p., 13,75$.
Traduction de On Photography, New-York, Anchor Books, 1977
Longtemps, le lecteur francophone n’a eu qu’une très mauvaise traduction des essais On Photography. Aujourd’hui, Philippe Blanchard offre une traduction intelligente et respectueuse de l’esprit et de la verve de Sontag et conserve les phrases concises et incisives de l’auteure. Celle-ci élabore à la fois une sémiologie sociale et littéraire, une esthétique ainsi qu’une analyse sociologique des usages de la photographie. Elle cherche, à travers les représentations et les concepts de la photographie dans les médias, la littérature et le cinéma, à comprendre la relation qu’une société donnée entretient avec la réalité et l’image, cette dernière devenant une médiatrice du réel. 20 ans après son ébauche, ce livre comporte, encore aujourd’hui, toute l’acuité de compréhension des problèmes fondamentaux de la photographie et de son développement esthétique.
Frame of Mind: Viewpoints on Photography in Contemporary Canadian Art,
Dirigé par Daina Augaitis, Banff, Walter Phillips Gallery, 1993,
134 p., ill. n. et b. et coul., broché, 20 $
La Walter Phillips Gallery édite régulièrement des catalogues d’exposition et des anthologies de textes théoriques sur des problématiques diverses, qui viennent enrichir le champ du discours sur l’art contemporain. Frame of Mind comprend 10 essais sur autant d’artistes de la collection permanente de la galerie. « L’épistémologie de la caméra » est posée comme autre prétention de l’anthologie par Towsend-Gault dans l’introduction : «… how do we represent what we know to ourselves, to others, and what part do the representations themselves play in the knowing? ». C’est abuser du sens du mot que de vouloir faire une épistémologie de la photographie, surtout avec un tel corpus d’œuvres. Une épistémologie aurait été possible et utile avec des photographes tels A. Londe, A. Bertillon et E.-J. Marey qui, eux, utilisent l’appareil photographique à des fins scientifiques. Les œuvres choisies n’ont pas pour but la connaissance, au sens à’epistèmè, il s’agit plutôt d’une compréhension subjective du monde.
Malgré ce faux départ, les essais gardent leurs qualités intrinsèques. Les textes sont courts, de cinq à sept pages, annotés et accompagnés d’une bonne iconographie. Personne n’a pu répondre à la question de l’anthologie, par contre la problématique de la dualité entre l’image et l’écrit dans les œuvres de M. Lewis, K. Campbell et S. Schelle semble bien un compromis pour discuter de l’œuvre en donnant l’impression de répondre à la question. Les autres essais portent sur les travaux de R. April, R. Arden, S. McEachern et I. Wallace. Soulignons la fraîcheur de ceux-ci et la particularité du point de vue des essais sur l’œuvre de D. Blain par J. Lamoureux, de Evergon par A. Laframboise et de S. Alexander par J. D. Campbell. Cette anthologie renseigne le lecteur sur des travaux des années 1985 à 1990 et demeure une référence pratique pour les chercheurs.
Hervé Guibert, Photographies,
Paris, Éd. Gallimard, 1993, 131 p., ill. n. et b., relié, 93 $
Hervé Guibert fut chroniqueur de photographie et de cinéma au journal Le Monde de 1977 à 1985 et, en 1981, il publia L’Image fantôme, consacrée à des récits sur la photographie, dont certains décrivent des images et des événements qui sont présentés ou reproduits dans cette nouvelle monographie, florilège des meilleurs clichés du célèbre écrivain.
Les photographies se présentent comme de petites notes, des « papiers collés » d’un journal intime, retraçant la vie d’un personnage (H. G.), de ses amitiés qui se forment et se brisent, de ses obsessions qui se manifestent sous forme de petites mises en scène, de ses désirs, de ses manuscrits et de ses livres étalés, offerts, confondant ce qui est fiction et réalité. La séquence des images est très bien montée, nous faisant entrer, d’emblée, dans l’intimité de ses vieilles tantes Suzanne et Louise. À cette série s’enchaînent celles du Musée Grévin et du Musée de la Specola. Le premier présente des spécimens de cire, recréant des crimes célèbres, tandis que le deuxième nous montre des spécimens scientifiques décharnés, offrant muscles et viscères de cire. La métaphore est bien articulée par les éditeurs. Ils reprennent à rebours ce que Guibert, atteint du sida, déplorait de son propre corps, se voyant tel un vieillard à la fin de sa maladie. Ainsi, après la séquence des vieilles dames et celles des faux cadavres et des masques presque vivants, on nous présente les amis et amants de Guibert, ces garçons sensuels qui rendent compte de la vitalité. Grâce à cet album de 125 photographies bien imprimées et d’une très belle facture, on fait revivre symboliquement Guibert par l’image, car l’image a une présence : « Le soir quand je me couche, je me repousse au fond du lit pour laisser une place aux corps de la photo, et je leur parle sous les draps… »
Pierre Molinier,
Winnipeg, Plug In Editions, 1993, 74 p., ill. n. et b., broché, 20 $
La photographie contemporaine a développé une propension à traiter de subjectivité et d’identité, notamment de la part de minorités sociales ou sexuelles. À l’instar de Belloc, qui photographia, au début du siècle, les prostituées qu’il fréquentait, Molinier intègre l’appareil photographique à sa vie et à ses propres activités sexuelles. Celui-ci devient le miroir de Narcisse, qui met en scène ses propres fantasmes, et va même jusqu’à corriger l’image de son propre corps par des transformations physiques et des manipulations techniques.
Ce catalogue de l’exposition itinérante présentée au CIAC l’automne dernier est, à ce jour, le seul ouvrage disponible sur Molinier et son œuvre. Il comprend une dizaine de photographies des années 60 et 70, auxquelles s’ajoutent quelques documents sur son atelier, reproduits en marge du texte. Les traductions françaises sont presque illisibles, bourrées de coquilles et d’erreurs. Il faut donc lire les textes originaux de S. Watson et de P. Gorsen. Le conservateur, Wayne Baerwaldt, développe dans l’introduction succincte une petite histoire de l’œuvre et de la vie de Molinier, les deux étant indissociables. Il nous renseigne sur ses méthodes de travail, analyse le lien entre le fétichisme de Molinier et sa pratique photographique, mentionnant au passage sa participation au surréalisme des années 50 et son excommunication par Breton en 1965.